Avec Losers Revolution, co-réalisé avec Grégory Beghin, Thomas Ancora a imaginé une comédie complètement décomplexée, empruntant autant aux buddy movies à l’américaine qu’à l’univers déjanté de la télé-réalité, dont il livre une savoureuse parodie.
Simon (Clément Manuel), Fred (Baptiste Sornin) et Mehdi (Kody Kim) n’ont pas spécialement gagné le gros lot à la loterie de la vie. S’ils s’en sortent tout juste pas trop mal, il faut dire qu’ils ne sont pas vraiment partis du bon pied. Gentils nerds à tendance benêts, ils ont été légèrement chahutés à l’école. Disons pudiquement qu’ils n’étaient pas les garçons les plus populaires du coin, contrairement à Henry, le jeune frère de Simon, mèche parfaitement lissée, blouson bien repassé, démarche savamment chaloupée.
Simon, Fred et Mehdi sont restés potes, faut dire qu’ils ne croulent pas non plus sous les amis. Alors quand leur ancien camarade d’infortune Juan (Camille Pistone), mort prématurément, leur confie une mission quasi impossible en guise de dernière volonté, les trois amis décident de la relever. Mais pour cela, il va falloir fourbir leurs – maigres – armes.
Car ce que leur demande Juan, ce n’est rien moins que de fomenter une sorte de coup d’état, ou en tous cas d’éclat. La révolte des perdants, la revanche des humiliés, la vengeance des harcelés. Balance ton tyran, et fais ta #LosersRevolution. Les anciens de l’école n’ont qu’à bien se tenir, Simon, Fred et Mehdi sont prêts à leur dire leur quatre vérités lors de leur réunion des anciens élèves. Enfin, presque prêts.
Parce que bon, à quoi ça sert de faire une révolution aujourd’hui si elle n’est pas un minimum numérique? Les trois compères vont donc se mettre en quête de fans et de suiveurs sur les réseaux sociaux pour s’offrir une caisse de résonance digne de leur projet. Et ils ont en tête le Cheval de Troie idéal, Henry.
Henry a su faire fructifier sa popularité de rhéto en devenant le héros d’une émission de télé-réalité à succès, les AlphaBelgaBoys. Les « aventures » de 5 mecs bien gaulés qui oublient étonnamment souvent de mettre leur t-shirt, dont le tour de biceps compte vraisemblablement plus que le QI, et qui sont sensiblement obsédés par leurs attributs virils.
Ca tombe plutôt bien, cette histoire de Cheval de Troie, car les audiences des Alpha sont en berne, comme leur moral, et l’irruption soudaine dans la série de ces trois mecs venus tout droit de la vraie vie contribue à les redresser. La productrice sans foi ni loi de l’émission va alors s’employer à scénariser à outrance la réalité pour pousser ses héros dans leurs derniers retranchements. A moins que la réalité ne se laisse pas faire…
On n’en dira ici pas plus sur les rebondissements spectaculairement déjantés qui s’abattent tel un crachin bien pénétrant sur nos losers.
Premier film réalisé dans le cadre de l’appel à candidatures aux productions légères lancé par la Fédération Wallonie-Bruxelles (on vous a d’ailleurs emmenés il y a quelques mois sur le tournage), Losers Revolution semblait s’être fixé un objectif, proposer une comédie décomplexée, empreinte de références pop aux films de potes US, mais profondément ancrée dans la culture belge. Pari tenu, le film n’hésite devant aucune outrance, ose les bons mots trash et les situations aussi hallucinées qu’hallucinantes. Imaginé par Thomas Ancora, qui en signe le scénario, et interprète avec jubilation Henry, le film est co-réalisé par le comédien et Grégory Beghin, à qui l’on doit notamment la websérie Burkland.
Les comédiens s’en donnent à coeur joie, les 4 héros et anti-héros bien sûr, Thomas Ancora, Clément Manuel, Kody Kim et Baptiste Sornin, mais aussi Tania Garbarski en productrice sans scrupules, emmenant leurs personnages toujours plus loin dans la caricature, dans une sorte de free style surprenant et rafraichissant. Avec visiblement comme mot d’ordre, pour eux comme pour les nombreux guests (d’Alex Vizorek à… Cathy Immelen): « No. Limit. »
Le film offre en passant une réjouissante parodie de l’univers de la télé réalité, s’amusant à reproduire l’esthétique du genre, l’émission elle-même, tout en confessions face caméra, bips sur les gros mots, plans « paparazzés » et jingles dramatisants; mais aussi tous les à-côtés, l’émission TV où l’analyse des moindres faits et gestes des protagonistes, les fils twitter, les stories Instagram (enfin, 2stagram). La valeur des gens est estimée en fonction de leur nombre de followers, qui s’affiche d’ailleurs à l’écran (rappelant le cauchemardesque épisode de Black Mirror, Nosedrive), effleurant en passant une discrète satire en mode Les réseaux sociaux pour les Nuls quand Simon s’interroge: « Mais, est-ce qu’on peut liker ses propres photos? »
En adéquation avec ses moyens, Losers Revolution s’avère donc être une comédie complètement déjantée et dans l’air du temps, qui offre à une pléiade de comédiens belges l’occasion de livrer d’étonnantes performances, parfois à mille lieux de leur registre traditionnel.
Losers Revolution fera l’objet de notre prochain Cinevox Happening le 9 mars prochain auquel nous avons le plaisir de vous inviter (ça se passe ici), et sortira le 11 mars dans les salles belges.