Avec Une femme qui part, qui sort ce 5 février en Belgique, Ellen Vermeulen fait dialoguer à 70 ans d’intervalle deux femmes qui sont habitées par les mêmes doutes, dans le cadre majestueux d’une expédition himalayenne.
Une femme qui part, long métrage documentaire de la cinéaste belge Ellen Vermeulen était dévoilé ce week-end au Festival de cinéma En ville! A la croisée des chemins entre le récit à la première personne, le journal d’expédition et le montage d’archives, le film suit les trajectoires doubles, qui tour à tour se croisent ou cheminent en parallèle de deux femmes que 70 ans séparent, mais qui questionnent les mêmes assignations.
En 1952, Marie-Louise Chapelle est la première Française à explorer une voie inconnue de l’Himalaya, en compagnie de son camarade de cordée Frendo. Marie-Louise, mariée très jeune et mère de quatre enfants rêve d’une vie naturelle, sans contrainte, extra-conventionnelle. Autant dire un rêve incompatible avec son statut de mère au foyer, qui l’assigne à domicile. Alors Marie-Louise va se dédoubler, vivre deux vies au lieu d’une: six mois par an dans les montagnes, six mois par an auprès de sa famille. Ce choix à un coût, ses proches interrogent cette décision, ses enfants lui en tiennent rigueur. Et puis la montagne n’est pas un milieu ouvert aux femmes. Alors qu’elle marche auprès d’une cordée d’hommes, Marie-Louise comprend que plus elle progresse, plus ses camarades sont hostiles, à tel point qu’ils lui interdisent de continuer à leurs côtés: une femme au sommet réduirait la montagne à une colline – et leur exploit à une ascension de pacotille. De Marie-Louise, Ellen ne connaît que les traces, son livre Pèlerinage interdit, mais aussi son journal, ses livres et ses photos qu’on lui a confié. Alors qu’elle-même se questionne sur son destin de femme, elle va poser un acte d’alpiniste, et s’inscrire littéralement dans les traces de Marie-Louise, à la fois pour mieux comprendre son passé et interroger son avenir. Elle aussi, elle va gravir la montagne, s’épuiser physiquement pour trouver les réponses à ses questions, quand chaque pas est une victoire sur soi-même.
« Je suis enfin physiquement là où j’ai erré mentalement pendant des années, » confie la réalisatrice en voix off. Le film mêle les textes et les images, les mots d’Ellen côtoient ceux de Marie-Louise, les images de leurs ascensions, à 70 ans d’intervalle, dialoguent, faisant résonner les dilemmes que pose leur identité de genre. Mais ce que montrent aussi ces images, c’est l’évolution des paysages, la façon dont le temps a dégradé l’environnement. L’expédition de 1952 n’est plus réalisable, les neiges ont fondu. L’aventure d’Ellen met aussi en lumière la marchandisation de l’alpinisme, lors d’une scène saisissante où l’échappatoire que représente la montagne pour ces deux femmes est mise en regard du statut des porteurs et sherpas qui les accompagnent, pour lesquels la montagne, loin d’être un luxe, est avant tout un moyen de survie. Une femme qui part mêle l’exploration intime de femmes qui à travers les siècles questionnent l’assignation à la maternité, et le vertige à couper le souffle qu’offre le spectacle de la nature, même quand elle est attaquée. L’infiniment grand des flancs de montagne enneigés où fourmillent nos minuscules frères (et soeurs) humains, et l’infiniment petit des tempêtes intérieures qui poussent des femmes à s’affranchir des limites que voudrait leur imposer la société.
Une femme qui part sort dans les salles belges ce 5 février.