Rencontre avec les auteurs et réalisateurs de Pour vivre heureux, Salima Glamine et Dimitri Linder, qui reviennent sur les origines de ce premier long métrage, plébiscité en octobre dernier au festival de Namur, où il a notamment reçu le Prix Cinevox 2018.
Quelles sont les origines du projet?
SALIMA GLAMINE
A l’origine, nous voulions adapter un livre, mais nous n’avons pas obtenu les droits. Alors on s’est décidé à écrire notre propre histoire… J’ai une double culture, une maman d’origine algérienne, un papa d’origine française. Et j’ai été sans m’en rendre compte dans un conflit de loyauté dès mon plus jeune âge. Nos personnages eux sont issus d’une double culture car ils sont nés dans un pays d’une culture différente de celle de leurs parents. J’ai toujours été fascinée par leur capacité à s’adapter, à vivre dans le paradoxe, à avoir une sorte de schizophrénie positive, pour contenter tout le monde. Ils sont la plupart du temps poussés par leur parents pour s’intégrer. Ca devient presque tordu comme fonctionnement.
J’ai toujours été fascinée par leur capacité à s’adapter, à vivre dans le paradoxe.
DIMITRI LINDER
Nous avons fait beaucoup d’ateliers en école avec des jeunes issus de communautés très différentes, et nous avons senti dans notre propre travail théâtral des moments de friction, des difficultés qu’on ne comprend pas forcément au premier abord, et que l’on finit par comprendre en creusant et en restant ouverts. Une fois la compréhension là, il y avait une envie d’échange, de trouver les compromis qui permettraient de s’entendre. Il faut donc d’abord connaître, comprendre, et puis après en dialoguant, peut-être qu’on peut faire avancer ou évoluer les choses.
Il y a aussi une urgence de parler du présent?
SALIMA GLAMINE
L’une des thématiques que nous voulions aborder, c’est la non-communication entre les générations, que l’on a replacée dans un contexte de double culture. La communication n’est pas un outil que ces jeunes et leurs parents ont appris à utiliser . Et peut-être que moi non plus, finalement.
« Ne pas juger, mais apprendre à regarder et écouter l’autre pour le comprendre. »
DIMITRI LINDER
Oui, aujourd’hui, les différences culturelles, religieuses, doivent être reconnues, pour après pouvoir communiquer. Dans notre film, l’idée n’était absolument pas de juger, de décider de ce qui est bien, ou de ce qui est mal, mais d’apprendre à écouter l’autre, à le regarder, à essayer de le comprendre.
D’autant qu’ici, la transmission se fait dans les deux sens, de la génération des enfants à celle des parents?
SALIMA GLAMINE
Oui, bien sûr. A partir du moment où il y a manque de communication, on ne connait pas les besoins de l’autre, et on vit dans une projection de ce qu’on imagine être ses besoins. C’est dans ces situations que les conflits explosent. Une chose qui m’a beaucoup touchée quand on rencontrait des personnages de la génération des parents de Mashir, c’est de voir que les raisons qui poussent les gens à se marier et rester dans leur communauté, c’est la peur de perdre leur culture, leur tradition. Comment, si j’ai des petits-enfants, je vais pouvoir communiquer avec eux? Ne serait-ce qu’en termes linguistiques, parce que la génération des parents de Mashir, ce sont eux les primo-arrivants. Tout le monde peut se retrouver dans la peur de ne pas pouvoir communiquer avec ses enfants et ses petits-enfants.
« Tout le monde peut se retrouver dans la peur de ne pas pouvoir communiquer avec ses enfants et ses petits-enfants. »
DIMITRI LINDER
On a entendu des parents nous dire: « Mais mon fils est tellement habitué à manger ce que je lui cuisine, que si sa femme ne sait pas cuisiner pareil, ils ne pourront pas s’entendre, et ils ne pourront pas vivre ensemble. » Ils sont convaincus que ça ne peut pas fonctionner autrement, qu’ils sont voués à leur perte s’ils transgressent cela.
Paradoxalement, « enfermer » leurs enfants dans leur culture est un acte d’amour…
DIMITRI LINDER
Totalement, et dans notre film, oui, le père de Noor est un peu plus conservateur, semble plus dur, c’est vraiment parce qu’il n’a pas cette capacité d’ouverture. Mais il agit par amour pour sa fille, par respect pour sa soeur. Pour lui, ce mariage arrangé « parfait » arrangera tout le monde.
On a dans le film une vision à 360° d’une histoire d’amour classique type Romeo & Juliette, de l’impact qu’a cette histoire sur toute la communauté.
SALIMA GLAMINE
C’était un combat d’essayer le retranscrire le point de vue de chacun, nourri par la peur de tomber dans le cliché. On avait très peur de se dire si des gens sortent du film en pensant que la communauté pakistanaise a tort, on aura échoué. On a oeuvré pour que ce ne soit pas binaire. On a dû se battre pour conserver certains personnages.
On a dû se battre pour conserver certains personnages, éviter la binarité.
DIMITRI LINDER
Les commissions nous demandaient de réduire les points de vue, de nous concentrer sur les héros. Mais l’histoire n’a pas lieu d’être si le cadre parental n’est pas là. Pour nous c’est un ensemble, ce ne sont pas des enfants contre des parents, ou des parents contre des enfants, c’est à un moment donné, dans leur histoire, un conflit lié à plein de choses. Ce n’est pas juste une culture, ou juste une religion. Pour nous, c’était très important que toute la famille soit représentée, et tout ce qui existe autour.
SALIMA GLAMINE
On voulait observer comment chaque personnage peut être touché à sa façon par le conflit de loyauté, à un niveau plus ou moins fort. Et il était aussi important de dire qu’il y a des personnages pour lesquels ça peut ne pas être un problème. Ces jeunes partagent la culture de leurs parents, mais ont aussi leur propre culture.
DIMITRI LINDER
C’est ce qui est frappant, les jeunes ont deux foyers, l’école et la famille. On l’a beaucoup vu en travaillant avec eux lors de nos ateliers.
SALIMA GLAMINE
Ils ont une capacité à switcher entre leurs deux cultures, à trouver des solutions assez incroyable!
DIMITRI LINDER
Ce sont de véritables doubles vies que mènent ces jeunes! Lors des atelier, on voyait ça très forts lors des représentations, quand les parents arrivaient. C’est vraiment touchant.
Ce sont de véritables doubles vies que mènent ces jeunes!
SALIMA GLAMINE
Ce qui est touchant finalement, c’est le besoin de satisfaire ces deux cultures, aussi bien celle de ses parents, que le besoin de correspondre à al culture du pays dans lequel on vit. C’est ça en fait, un besoin de faire partie du clan. Ils sont tiraillés entre les deux, mais ils y arrivent très bien, finalement.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans les retours du public face au film?
SALIMA GLAMINE
On a fait une séance scolaire récemment, et à la fin du film, quand Mashir se retourne, et qu’on entrevoit qu’une autre fin est possible, toute la salle s’est mise à hurler, de joie, pour l’encourager. Parce que cette jeunesse a besoin qu’on lui dise que c’est possible, en fait. On se rend compte que cette fin ouverte, plutôt heureuse, sur laquelle on a longtemps hésité, était attendue. On l’a faite, parce qu’on s’est demandé quel message on voulait laisser, en accord avec nos valeurs. Mais on se disait en même temps que cette fin, c’était moins percutant. Qu’une fin tragique, c’est plus percutant. Ça embarque les gens, ça les retourne. Mais on a résisté. Et quand je vois comme finalement ça plait au public, ça crée un élan, ça me touche.
Oser l’espoir.
DIMITRI LINDER
Il fallait oser l’espoir. On a aussi eu beaucoup d’adultes qui ont salué le fait qu’on proposait un film fort, chargé en émotions, qui se termine bien. On a aussi besoin que les choses tendent vers le positif. Il y a aussi des choses qui vont bien, pas que des nouvelles tragiques.
Pour vivre heureux sort ce mercredi 5 décembre en Belgique.
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