A J-12 de la 10e Cérémonie des Magritte du Cinéma, on fait le point sur les 4 documentaires en lice, 4 films dont nous vous avez longuement parlés au long de l’année, et qui offrent un riche panorama de la production documentaire actuelle, avec un accent particulier mis sur le travail des réalisatrices!
Bains publics de Kita Bauchet
Dans Bains Publics, Kita Bauchet explore un lieu emblématique au coeur de Bruxelles, la piscine de la Place du Jeu de balles, où se croisent au quotidien des milliers de Bruxellois, dans toute leur diversité. Une juxtaposition de petits scènes tendres et pudiques, de la compétition de natation synchronisée aux utilisateurs des douches publiques, des dames âgées en plein exercice aux jeunes enfants handicapés apprivoisant leur peur de l’eau.
La piscine, ce « monde en bleu », est un lieu d’apprentissage et de transmission, de détente et de reconnexion avec son corps, de salvation et de socialisation, une refuge comme un échappatoire.
By the Name of Tania de Bénédicte Liénard et Mary Jimenez
By the name of Tania est une oeuvre visuellement superbe oscillant aux frontières du documentaire et de la fiction, redonnant une voix aux victimes inaudibles de la région des mines d’or au Pérou. La voix de Tania, personnage lui-même hybride, créature de cinéma composite et symbolique, représentant les multiples facettes de ces destins tragiques, est la force motrice du récit, incarnant ceux dont on a oublié le nom et le visage. Tania, ce sont ces milliers de jeunes filles abusées, violentées, séquestrées, contraintes à la prostitution quand leur seul objectif était de sortir de leur misère. La voix de Tania, c’est aussi en filigrane, à travers le personnage de Ruben, celle de ces hommes vivant en apnée dans des eaux boueuses dans l’espoir de trouver une pépite d’or. Les corps martyrisés font écho à la nature exploitée elle aussi, énième dérive d’un système capitaliste en bout de course.
Quand on interroge les réalisatrices à propos du genre du film, elles réfutent les catégories traditionnelles: « Le film pousse la fiction à se repositionner, et pousse le documentaire à oser s’autres types de langage que le cinéma du réel. Le but étant de travailler le cinéma dans sa forme métaphorique et poétique. »
Mon nom est clitoris de Lisa Billuart Monet et Daphné Leblond
Avec Mon nom est clitoris, Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet interrogent la sexualité des jeunes femmes dans tout ce qu’elle a de tabou, soulignant l’aspect politique, culturel et sociologique de cette ignorance, et faisant sauter un à un les non-dits qui entravent l’épanouissement sexuel et sensuel des femmes, héritages d’un système patriarcal où la sexualité féminine ne peut être qu’un don, ou un péché.
« Le clitoris est le symbole de la méconnaissance et de la censure de la sexualité féminine, explique Lisa Billuart Monet. Il y a une censure morale et politique, les femmes ne doivent pas aimer la sexualité, pas en parler, renchérit Daphné Leblond. Ce n’est même pas que les femmes ressentent un interdit, c’est qu’on les dissuade de se poser des questions. »
Sans frapper d’Alexe Poukine
Avec son bouleversant documentaire Sans frapper, la réalisatrice Alexe Poukine s’attache à déconstruire les représentations que l’on se fait du viol et des violeurs, et transforme l’histoire d’un viol singulier en l’histoire d’une expérience collective des violences sexuelles induites par une société patriarcale qui tarde à s’interroger sur ce mal systémique.
A l’image de Mitra, ou de By the Name of Tania, qui brouillaient les frontières de la fiction pour renforcer l’impact du témoignage de leurs victimes, Sans frapper déroule avec puissance un dispositif fort nourri de détours fictionnels qui permet de donner corps à un récit ultra-contemporain pourtant universellement ancré dans l’histoire, celui d’une masculinité toxique et d’un patriarcat aveugle qui soumet les femmes au désir des hommes, en toute impunité ou presque.
« La plupart des hommes qui violent ne sont pas des pervers, juste des gens qui ne regardent pas la personne en face d’eux, nous confiait Alexe Poukine. Ce n’est pas seulement une histoire individuelle, c’est l’histoire de la violence patriarcale, un vrai vécu collectif, et donc une vraie lutte. »
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