Vu du FIFF
La politique pour les gourmets

Olivier Gourmet en ministre (des transports) de la République française, il fallait l’imaginer. D’après ce que nous ont dit ses producteurs (Archipel 35 et Les Films du Fleuve), ce fut toujours le premier choix de Pierre Schoeller le réalisateur que nous rencontrons demain et à qui, bien sûr, nous poserons la question. Il n’empêche que cette idée de casting, plutôt incongrue pour le commun des mortels est d’une totale évidence lorsqu’on découvre ce film. Et ce n’est pas le moindre de ses atouts.

 

A Cannes, L’Exercice de l’État fut présenté dans la section Un certain regard, raflant au passage le prix Fipresci de la critique internationale et le titre honorifique (mais intéressant vu le contexte) de meilleure œuvre politique du Festival. Confronté à Pater, annoncé écrasé par le buzz entourant La Conquête, potentiellement réduit en cendres par l’affaire DSK qui confirmait l’adage : la réalité plus forte que la fiction, il aurait pu se voir effacé de la surface médiatique. Malgré cette hallucinante opposition, le deuxième long métrage coécrit et réalisé par Pierre Schoeller (après Versailles) emporta donc l’adhésion.

 

L’Exercice de l’État porte on ne peut mieux son titre. Il nous offre de partager (au plus près) un moment de la vie d’un ministre des Transports, face aux cruciales réformes à mettre en œuvre (qu’il ne souhaite pas forcément), et aux drames à résoudre dans l’urgence. C’est donc le portrait d’un politicien, tiraillé entre éthique et devoir, constamment à la recherche de la meilleure solution pour le pays… et pour sa carrière. Le dilemme est posé sans malice et Pierre Schoeller le développe à la perfection.

 

Taillé au cordeau, le scénario enchaîne les événements à un rythme haletant, confronte l’homme à la ligne d’un gouvernement confronté à cette trop fameuse dette à résorber, mais aussi à ses convictions, à ses obligations, à son cabinet et aux petites attaques vicieuses des uns et des autres. Ici, l’ellipse a droit de cité et le réalisateur ne s’appesantit jamais sur les détails. A charge pour le spectateur de rester concentré, l’esprit vif et en éveil pour capter chaque rebondissement dans l’instant.

 

Le texte est dense, le verbe soutenu. Pas à la portée de n’importe quel acteur. Mais, c’est l’autre face du génie de Schoeller: son casting est formidable. Aux côtés d’un Olivier Gourmet qui touche au sublime et offre une prestation qui fera date dans sa carrière, Michel Blanc d’une incroyable sobriété en chef de cabinet, Zabou Breitman virevoltante en attachée de com et une constellation de seconds rôles emportent l’adhésion. Sur le papier, la liste des noms était alléchante, mais pouvait susciter quelques interrogations. À l’écran, on nage en plein bonheur. Tout est évident.

 

Le troisième pilier de cette réussite est l’excellence d’une mise en scène stupéfiante (et risquée) qui marie hyperréalisme et paraboles visuelles kubrickiennes.  Schoeller sait faire varier le rythme comme personne, donnant des coups d’accélérateur quand on ne les attend pas, ralentissant la marche des personnages lorsqu’on pense que tout va s’emballer et ménageant des surprises colossales. Parce que la vie est ainsi, soudaine, incontrôlable, triste et exaltante aussi;  injuste, terriblement injuste. Parce que pour être ministre il faut jongler avec les impondérables et toujours pouvoir relativiser.

 

La fonction politique tant décriée ces temps-ci en sort-elle grandie? Non, pas vraiment. Mais il n’y a pas non plus d’acharnement dans le chef de Schoeller qui tend à montrer ce qui est sans embellir, sans dépraver.

 

Une formidable réussite. Vous l’aurez compris

 

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