Un polar africain au Be Film festival, puis (peut-être) dans la short list des Magritte du cinéma ? Du sang, des larmes et des tripes à l’air dans Cinevox? Tout ça mérite qu’on s’y attarde, qu’on décrive et qu’on explique. Mieux vaut être prévenu avant de découvrir Viva Riva !
Kinshasa. Le jour. Le bruit, la fureur, la misère aussi. L’essence manque et les prix flambent. Les voitures restent au garage et le marché noir promet aux trafiquants des marges dignes d’un jeudi de folie à Wall Street. Surtout, ne pas vendre trop tôt, car demain, oui demain, le litre sera à 7 dollars. Et après-demain… Qui sait?
Kinshasa. La nuit. Les boîtes branchées, les caïds, les putes. L’occasion pour les nantis de claquer leur blé en liasses et d’enfiler les filles qui ne semblent (ici) dédiées qu’au plaisir de la gent masculine. La frime, l’alcool, les comptes à régler, le sang à verser. La violence? Juste un élément banal parfaitement intégré aux codes. Tu saignes? Business as usual !
Parti depuis dix ans, Riva rentre au bercail apparemment plein aux as. Son but? Écouler dans la capitale un stock d’essence qu’il a volé à son boss, un gangster angolais. Big mistake! Le Snoop Dogg qui est à ses trousses est un dandy sans aucun scrupule, une ordure prête à tout, mais alors à tout, pour récupérer son bien. En attendant, Riva totalement inconscient du danger est bien décidé à s’éclater avec son vieux copain J.M., désormais marié avec deux enfants, mais qui ne résiste pas trois secondes à l’appel du stupre et de la « liberté ». Et voilà les amis, à nouveau encanaillés, pour une folle nuit de beuverie, de danse et de débauche. Une nuit au cours de laquelle Riva croise Nora, la fille aux cheveux rouges, sexy et provocante (elle le branche en pissant devant lui, no kidding) sans plus de morale que ses congénères masculins et qui est pour l’instant la bimbo d’un caïd local qui se prend pour le maître du monde. Mais finira par se rendre compte qu’au pays des salauds il n’est qu’un (tout) petit amateur. De la chair à pâté.
Pas évident de planter le décor de Viva Riva!, un polar sanglant, glauque, malsain, drôle aussi parfois, fourmillant de détails, pléthorique, roboratif, qui a déferlé cette année sur le continent africain.
Considéré comme un phénomène, Viva Riva ! a notamment dominé les Africa Movie Academy Awards 2011 : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure photographie, meilleur décor, meilleur second rôle masculin (Hoji Fortuna) et meilleur second rôle féminin (Marlène Longage) : le film y a raflé la majorité des prix. Une reconnaissance concrétisée ensuite au 20th Annual MTV Movie Awards organisés au Gibson Amphitheatre à Universal City, California. Aux States qui le fascinent si évidemment, le réalisateur Djo Munga décroche le prix du Meilleur Film africain. Pas une surprise, car Viva Riva! marque l’arrivée du cinéma africain dans l’ère MTV : un cinéma flamboyant, totalement décomplexé, violent et, il faut bien l’admettre, machiste et décérébré.
À ce stade, vous vous demandez pourquoi nous accueillons aujourd’hui Viva Riva ! sur ce site exclusivement dédié au cinéma belge. François Damiens y fait-il un Cameo? La raison est simple: même si à l’écran, le long métrage est 100% congolais, ce sont bien deux Belges qui l’ont produit. Du coup le film est carrément en course pour les Magritte 2012, figurant dans la liste des 13 coproductions majoritaires. Djo Tunda wa Munga, son réalisateur, pourrait également être couronné « meilleur réalisateur belge de l’année… » Ce qui, stylistiquement, ne serait pas une hérésie, car s’il y a une chose que le bonhomme maîtrise, c’est précisément la mise en scène et le sens du choc visuel. Le travail qu’il accomplit ici avec des comédiens essentiellement amateurs (il faut le lire pour le croire) est aussi formidable. Belge, donc, Viva Riva ! est programmé dans le cadre du Be Film festival et ceux qui l’ont loupé en salles pourront rattraper leur retard le mardi 20 décembre à 19h au Bozar. Mieux ! Nous avons pour vous 5X2 places et nous vous invitons à faire un tour dans notre rubrique concours pour tenter d’arracher un de ces précieux duo-tickets. Cela dit, soyez prudent: si vous n’aimez pas l’ultra-violence exposée avec une totale désinvolture et beaucoup de complaisance, n’y allez pas, vous risqueriez de piquer une énorme colère après moins de 20 minutes. Si par contre le cinéma de Tarantino, Scarface ou les clips des gros rappeurs de MTV sont votre tasse de thé, vous passerez ici un excellent moment.
Viva Riva! est donc produit par Boris van Gils et Michaël Goldberg; avec Djoghlaf et Tunda wa Munga, co-produit par Steven Markovitz. Entièrement tourné à Kinshasa, il met en vedette de jeunes acteurs comme Manie Malone, Patsha Bay, Hoji Fortuna et Marlene Longage. Beaucoup de nouveaux venus. Tous épatants. Soutenu par Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel et des programmes MEDIA et ACP-Films de l’Union Européenne, Viva Riva! a bien sûr accompli une impressionnante tournée des festivals. On l’a vu à Berlin, Toronto, Hong Kong, festival SXSW et le Festival de Film pan africain (PANAF) à Los Angeles où il a remporté le trophée du meilleur long métrage.
Fait très inhabituel pour un film congolais (et belge ;-), il a été vendu aux USA, au Royaume-Uni, au Canada, au Benelux, en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Afrique du Sud. Mais c’est naturellement en Afrique qu’il a les atouts pour s’imposer le plus largement. Les nombreux prix récoltés dans la plus grande manifestation ne laissent aucun doute sur son potentiel commercial.
« À la fois bon divertissement populaire et portrait sans fard d’une cité déboussolée, Viva Riva! est une découverte aussi excitante qu’étonnante. » Cette courte introduction lue sur le site d’information Le Congo explique assez justement la fascination que peut exercer le film sur les spectateurs africains absolument pas préparés à cette grosse claque inspirée des codes américains les plus modernes.
À l’inverse, le film a bien sûr suscité son lot de critiques très négatives. Il ne peut laisser indifférent. Ce qui surprend surtout c’est le mélange des genres : un moment on est dans Pigalle La Nuit, puis dans La Cité des Dieux, puis dans Reservoir Dogs, l’instant d’après dans Pulp Fiction (influence évidente). Et si tout le monde cite le Scarface de De Palma, Viva Riva ! nous semble infiniment plus dérangeant. Certains ont été outrés de la scène de tabassage filmée par Michael Winterbottom dans The Killer Inside, mais sachez que c’est de la gnognotte à côté de ce qu’on découvre ici. Et quand le réalisateur veut nous montrer une scène de sexe, il ne se cache pas non plus derrière un flou hamiltonien. C’est cru, c’est dingue, c’est violent, c’est humain (et sans doute très africain aussi).
Pour ne pas laisser s’enliser la narration, le scénariste n’hésite pas à accumuler les énaûrmes coïncidences. Irréalistes? Certes, mais qui donnent à l’histoire de fulgurants coups d’accélérateur. Et tant pis pour la logique la plus élémentaire. Qu’importe après tout : Viva Riva ! décape. Le projet est cohérent et a visiblement atteint tous ses objectifs. Le reste est question de ressenti, de morale et de limites personnelles.
Cinématographiquement, l’objet est fort et on s’amuse à l’idée que les producteurs belges de ce délire se consacrent maintenant au prochain long métrage de… Benoît Mariage. Vive l’éclectisme. Leur récente expertise du cinéma africain sera sans aucun doute très utile à Benoit pour tourner en Côte d’Ivoire.
Même si Cinevox n’est en aucun cas un site critique, ces quelques réserves devaient être d’autant plus nécessairement posées que nous vous offrons donc des places pour le découvrir. Pas question de prendre le risque de vous confronter à un film que vous n’auriez pas voulu voir en toute connaissance de cause ou que vous ne pourriez pas supporter.
Cela dit, voilà un film africain produit par des Belges sans aucun relent de paternalisme (c’est le moins qu’on puisse dire) : ça pulse, ça flingue, ça baise, ça crie, ça dézingue, ça boit, ça vole, ça vit…. Depuis le temps qu’on attendait un film de genre sans censure dans notre cinéma belge (en gros depuis Calvaire), on ne va pas faire la fine bouche. Qu’il nous vienne d’Afrique et qu’il dérange à ce point, voilà plutôt deux bonnes nouvelles supplémentaires.