La Tendresse: rencontre avec Marion Hänsel

La Tendresse est-elle un concept cinématographique ? Au cinéma, le réalisateur même débutant comprend les codes pour retranscrire le suspense, la violence, le sexe, faire rire ou pleurer. Mais quid de l’émotion douce, débarrassée de toute tension ? Est-elle transposable sur grand écran ? Peut-elle contaminer le spectateur ? Est-elle soluble dans le cerveau de la critique ?

 

 

 

 

Le défi n’a pas effrayé Marion Hänsel qui a décidé de l’explorer le temps d’un long métrage. Elle suit donc un couple divorcé depuis belle lurette qui se retrouve pendant un voyage forcé et découvre une nouvelle facette de sa relation, faite de douceur et de complicité. Sans ambiguïté ni nostalgie. Ou presque.

Une histoire vraie. Ou presque.

 

Volontairement débarrassé de toute tension, le film existe autant dans les regards et les silences que par ces dialogues très précis que la réalisatrice ne remet pas en cause au moment du tournage. Aux acteurs de se les approprier et de les distiller sur leur propre musique. De nourrir cette partition. À cet égard, le dernier plan du film est très éloquent. On y voit Marilyne Canto offrir au spectateur et à la personne qu’elle regarde (nous n’en dirons pas plus) un sourire désarmant, d’une superbe intensité, chargé de mille et un sentiments que chacun interprétera à sa guise. Écrit ainsi, ça semble dérisoire. Dans la salle, il nous a fait frissonner.

 

–          Marilyne savait que c’était le dernier plan du film, mais je ne lui avais pas donné d’indication particulière par rapport à l’émotion qu’elle devrait rendre ou pas. Quand elle a fait ce sourire troublant, je me suis juste dit: « waoooouaw ! Magnifique, magnifique. On n’a pas besoin d’autre prise. » Mon chef opérateur était juste à côté de moi et on s’est regardés, comblés. Elle nous a cueillis par surprise. Ce sourire n’est pas nostalgique, il est serein. C’est un sourire qui signifie « tout est bien, et voilà, la vie continue ». Dans ce sourire, il y a aussi une pointe d’humour par rapport à son propre personnage, mais sans ironie ni cynisme. C’est un résumé parfait du film : seuls les grands comédiens peuvent t’offrir un cadeau d’une pareille justesse.

 

 

On le sait, Marion Hänsel a d’abord choisi son acteur masculin, puis envisagé avec lui la partenaire idéale. Pour sa première collaboration avec la réalisatrice belge, Olivier Gourmet a également déposé l’armure.

–          Oui, dans le même registre, Olivier m’a aussi donné beaucoup de plaisir pendant tout le tournage. Si je ne dois retenir qu’un instant (mais il y en a eu d’autres), ce serait la scène de l’ascenseur avec la fillette. Pendant tout le film, son personnage est un peu bougon, un peu lourd, parfois à côté de la plaque au niveau des sentiments ou avec son fils. Là, confronté à la fillette, le masque éclate et on voit apparaître un tout autre personnage, plus tendre, plus drôle, plus léger. C’est un des seules scènes où j’ai laissé les acteurs poursuivre au-delà du texte qui été écrit, car tout le monde sentait qu’il se passait quelque chose de merveilleux qui enrichissait le film. Un moment à la fois fragile et vrai tout à fait dans l’esprit général, mais que je n’avais pas envisagé aussi subtil.

 

L’affiche belge, la française (étrange puisqu’elle évoque plutôt les Bronzés) et une affiche qu’on a aperçu sur des sites québécois.

 

 

Si le défi est largement relevé à l’écran, l’autre question qui se pose inévitablement est celle de la réception du film par le public. Au niveau de la critique, l’accueil en France a été très contrasté. Plus encore que d’habitude, preuve que la subjectivité de chacun et que son état d’esprit sont capitaux.

 

–          J’ai derrière moi beaucoup d’avant-premières et une tournée de festivals. J’ai accompagné le film à Rotterdam au début de l’année et en France à Lyon, Lille, Albi, etc. Ici, à Namur aussi. Des petites et des grandes villes, des spectateurs très différents que j’ai rencontrés à l’issue des projections. À chaque fois, le public a l’air très très très content. Les gens sourient.. Pendant la séance, ici et là, on les entend rire. Mais ce qui me frappe le plus c’est qu’à la sortie, tous semblent heureux. J’accorde une certaine importance à la critique, mais au fil des ans, j’ai appris à relativiser tout ça. Ce qui compte aujourd’hui pour moi c’est de voir que les spectateurs sont prêts à se laisser embarquer dans cette douceur, sans arrière-pensée. L’absence de dramatisation ne les dérange pas. Au contraire. Ils ont l’air de trouver ça apaisant. Ça me ravit puisque c’est ce que j’ai recherché.

 

Dans les appréciations négatives que j’ai lues ici et là, on sent que celui qui les a écrites regrette le manque d’aspérités ou de tension. J’entends bien. Mais ce n’était pas mon propos. Quelque part, cette attitude me désole, car si un critique dont c’est le métier n’a pas le temps et la lucidité de faire le vide pour aborder un film tel qu’il est et pas comme il le rêve, s’il ne fait pas l’effort de scruter la subtilité derrière la banalité du quotidien qui n’est qu’apparente, alors que les spectateurs lambda se laissent toucher, c’est assez désespérant.

 

 

Cela dit, comme nous l’écrivions d’entrée, si certains journaux français (Le Monde, par exemple) laminent La Tendresse, d’autres comme Le Parisien, le portent aux nues. Subjectivité totale donc. À chacun de choisir son camp.  Une chose est néanmoins évidente: la Tendresse s’adresse plutôt à des quadras qu’à des adolescents.

 

–          Oui, je suis d’accord. Je dirais que la Tendresse s’adresse en priorité à un public qui a déjà un peu vécu, qui va de quarante à disons… quatre-vingts ans. Ça tombe bien: aujourd’hui, ce sont ces gens-là qui paient encore sa place pour aller au cinéma voir autre chose que les grosses machines américaines. (rires) J’espère qu’il sera bien distribué en Belgique : malgré l’intimité que nous avons essayé de rendre, il a été filmé en Scope avec des moments de respiration qui nous plonge dans des paysages époustouflants. Il n’est pas fait pour les écrans timbre-poste. Le son a aussi été soigné. Il est important qu’on entende les nuances, les soupirs, les souffles. Sinon, c’est une grande partie de la magie qui s’efface.

 

C’est tout le problème de la distribution en Belgique, où les écrans pas assez nombreux, sont trustés par un nombre de films trop réduit, mais faciles à  vendre . Et encore… Grâce à son nom et à sa formidable carrière, Marion Hänsel n’est certainement pas la plus mal servie de tous ces réalisateurs qui nous arrivent avec des œuvres humaines et, par là-même, fragiles.

Puisse ce film doux et généreux trouver son public qui en sortira forcément heureux s’il y va en toute connaissance de cause. Car, Bourvil nous le rappelle dans le générique final, si on peut vivre sans richesse, on ne peut pas vivre sans tendresse…

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