Le 4 avril dernier s’est achevé le tournage de Filles du Ciel, le premier long métrage de la cinéaste et comédienne belge Bérangère McNeese.
Remarquée avec ses courts métrages, Le Sommeil des Amazones, Les Corps Purs, et surtout Matriochkas (qui lui vaut le Magritte du Meilleur court métrage en 2020), et vue sur tous les écrans récemment, aussi bien au cinéma dans Ailleurs si j’y suis de François Pirot que sur les plateformes (Braqueurs sur Netflix) ou à la télévision (inoubliable Linda dans Des gens bien diffusé sur Arte et la RTBF, elle est aussi de la très appréciée bande de HPI sur TF1, et sera bientôt dans Terminal, la sitcom new generation de Jamel Debbouze sur Canal +), elle s’essaie donc au format long avec ce projet qui s’inscrit avec fluidité dans les thématiques qui la travaillent.
On la rencontre quelques jours après le clap de fin, alors qu’elle vient de débuter le montage du film. Et pour commencer, on lui demande de quoi parle le film… « Je dirais que c’est le coming-of-age d’une jeune fille en pleine fugue, auprès de jeunes femmes un peu plus âgées qu’elle. Ca parle de sororité, mais ça questionne aussi le groupe dans ce qu’il peut avoir de merveilleux et soutenant, mais de dangereux aussi. C’est une histoire de reconstruction, on s’y demande comment faire pour avancer si on décide de rester en guerre. »
L’histoire du film, c’est celle d’Héloïse, qui une nuit se retrouve seule dans une ville qui n’est pas la sienne et n’a nulle part où aller. Elle fait la rencontre de Mallorie, qui la ramène chez elle, où elle vit déjà avec une petite fille et deux autres jeunes femmes. Elles forment une tribu, où tout est partagé et se protègent les unes et les autres. Mais l’omerta sur leurs blessures passées pèse de plus en plus lourd sur ces femmes si solides et pourtant si fragiles.
« Le film parle aussi de colère, poursuit Bérangère McNeese. Ça se passe dans le monde de la nuit, que je connais pour y avoir travaillé, où le rapport d’une jeune femme à son corps est fondamental. Il y a encore une vraie marchandisation de la séduction et des femmes dans ce milieu. Quand j’ai commencé à bosser en boîte de nuit, je trouvais ça hyper libérateur, j’avais l’impression de pouvoir y porter le masque que je voulais, de pouvoir m’y affranchir. En même temps, avec le recul, je jouais beaucoup avec les codes de la séduction et de la féminité, pour en faire une monnaie d’échange dans mon intérêt. C’est ce qui fascine Héloïse chez les filles, c’est qu’elles ont ingéré les codes pour les utiliser à leur propre avantage. C’est peut-être un peu cynique, mais c’est aussi une vraie force, dans une quête d’indépendance. Et puis la boîte de nuit, c’est une pièce qui offre un écho monumental à leur colère. Elles sont dans un mouvement paradoxal où elles se jouent de ces codes sans pour autant s’en défaire. »
Ce groupe de jeunes femmes était déjà un motif fort dans le premier film de la cinéaste, Le Sommeil des Amazones, qui trouve ici un écho, influencé par l’évolution à grande vitesse que connaît la société sur ces thématiques qui passionnent la cinéaste: « il y a clairement des sujets charnières pour moi, et les traiter sur le temps long, avec les années qui passent, mon évolution comme celle de la société, c’est passionnant. J’ai d’ailleurs beaucoup réécrit le film, pour me sentir plus en phase. Le regard de la société sur ces sujets-là change en permanence, tu ne peux pas être en retard, ou dire quelque chose qui a déjà été dit. Aujourd’hui, c’est surement plus intéressant de parler d’après la colère, comment on fait pour vivre ensemble. »
Un autre écho puissant à la filmographie passée de la réalisatrice s’incarne à travers le personnage d’Héloïse. Ce n’est pas un hasard si le personnage porte le même nom que son actrice, Héloïse Volle, qui était déjà l’héroïne du précédent court métrage de McNeese, Matriochkas. Tout au long de l’écriture, elle pense à la jeune comédienne, tout en se l’interdisant, ne sachant pas quand le tournage aura lieu, si l’âge de la comédienne coïncidera toujours avec celui du personnage. Et puis les astres sont cléments, la rencontre, évidente, devient possible. « Le casting était essentiel pour moi, il était important que les personnages empruntent de la personnalité des comédiennes, on l’a donc fait très en amont. Il fallait qu’il y ait des choses qui puissent leur échapper, tout en correspondant aux personnages. J’avais Héloïse en tête bien sûr, mais il fallait encore trouver mes trois autres héroïnes. » Ce sont finalement Shirel Nataf, Mona Bérard et Yowa-Angélys Tshikaya qui incarnent ce gang de filles.
« Le vrai challenge, pour moi, c’était de suivre le mouvement des scènes et des comédiennes. C’était leur premier grand rôle, il fallait être avec elles, parfois réécrire les scènes pour s’adapter à leurs énergies. Lâcher du lest parfois. On les suit à l’épaule, même si quelques scènes sont plus installées. On est très proche d’elles, pour saisir la façon dont elles expérimentent la vie, le voir et le sentir. Vraiment ces filles, je veux qu’on les aime, et pour ça, il fallait rester proches d’elles, rajouter de l’humour, montrer à quel point elles sont fines, elles sont malines. Le cinéma, c’est vraiment le medium de l’empathie, l’endroit où peut marcher dans les chaussures de quelqu’un d’autre, et c’est une grande force pour parler de sujets sociétaux. En se mettant dans la peau de ces jeunes filles pendant une heure et demie, on comprend leur colère, sans forcément être d’accord avec ce qu’elles font d’ailleurs, mais en ayant un peu le sentiment de ce que c’est que d’être elles. Ce qui m’importe le plus, c’est qu’on essaie de les comprendre. Et ce qui était très important pour moi aussi, c’était de ne pas filmer Filles du Ciel comme un film de filles. J’en ai beaucoup parlé avec mon chef opérateur, Olivier Boonjing. On rentre dans leur monde, donc c’est forcément très féminin à cet égard, mais c’est aussi un film un peu violent, cru. Je ne voulais pas que le film soit doux. Je voulais filmer ce groupe de filles comme on filmerait un groupe de mecs, en mouvement, avec beaucoup de contrastes à l’image, et en assumant le sombre. »
Le montage, qui a commencé il y a deux semaines, est prévu sur 15 semaines. C’est une période cruciale, où le mantra de la réalisatrice, c’est de coller à l’énergie de ses personnages. C’est aussi un autre type de rapport à l’objet film, loin de l’effervescence du plateau, moins dans l’action et plus dans la réflexion. Une fois le montage terminé, Bérangère McNeese retrouvera les plateaux comme comédienne, mais aussi la page blanche. « Je vais me remettre au développement de mon deuxième long métrage, un film d’époque, un peu plus mystique. En fait je crois que j’ai hâte de me remettre à l’écriture. J’ai trouvé l’expérience du tournage incroyablement enrichissante, c’est une aventure humaine complètement folle, mais mon côté introverti en a pris un coup, j’ai surement un peu besoin de me retrouver seule devant une feuille. »
Et nous, on a hâte de nous retrouver devant le grand écran pour découvrir ses Filles du Ciel.