Rencontre avec la comédienne belge Lubna Azabal, l’une des héroïnes du nouveau film d’Adil et Bilall, Rebel, sorti cette semaine, qui nous parle de ce rôle particulièrement fort, et de ce que représente le film pour elle.
Qu’est-ce que vous avez ressenti quand Adil et Bilall vous ont proposé de prendre part à ce projet?
Adil et Bilall, je les ai connus, ils devaient avoir 14 ou 15 ans, c’était mon premier festival de Namur. Ils m’avaient déjà dit à cette époque qu’ils rêvaient de travailler avec moi. Ils m’ont envoyé ce projet il y a quelques années, 6 ans je crois. C’est un sujet qui me semblait très important, auquel j’étais ravie d’être associée. C’était une évidence en fait je crois. L’islamisme radical, c’est un fléau, et je pense que le cinéma est l’un des outils qui peut permettre de le combattre.
Et puis bon, je les adore, j’aime ce qu’ils font. Et j’avais très envie de voir ce que leur style allait pouvoir insuffler à cette histoire. Particulièrement ce qu’ils allaient faire des scènes chorégraphiées, qui m’évoquaient l’intervention du choeur dans les tragédies grecques. J’étais très touchée aussi par les paroles des chansons arabes qui ponctuent le récit.
Il y a aussi le courage de faire un film engagé tout en restant populaire, d’offrir un spectacle sans avoir peur de la dureté du contenu?
Oui, ils ont eu le courage de faire un film qui s’adresse au plus grand nombre, et c’est vraiment important de s’adresser aux jeunes, et aux parents. Adil et Bilall ont une vraie communauté de fans, et ils sont peut-être bien les réalisateurs parfaits pour faire ce genre de film, avec ce genre de sujet.
Quelques mots sur votre personnage?
Je joue la mère, une mère issue des classes populaires, qui essaie de se démerder comme elle peut, seule, pour éduquer ses deux garçons, et les aider à devenir de futurs adultes. L’un d’entre eux, le plus grand, elle finit par le mettre à la porte parce qu’il vire petit voyou, et elle veut protéger le petit dernier. C’est un échec malheureusement, le petit s’enfuit pour rejoindre son frère.
Elle veut récupérer son gamin, elle a terriblement peur. Elle voit que son fils lui échappe, qu’il n’y a plus de communication. Elle sent que quelque chose de terrible va arriver, et il n’y a personne pour l’aider avant le départ de son gosse, ni après. Elle est seule, et se bat comme une lionne. Mais finalement, c’est un combat qu’elle essaie déjà de mener dans sa vie de tous les jours. Mais comme beaucoup de parents, elle se retrouve impuissante. Ces filières jihadistes sont tellement puissantes, sournoises, sectaires, que des parents seuls ne peuvent rien faire.
Comment avez-vous préparé le rôle?
Je fais toujours des recherches pour préparer mes personnages. J’avais demandé à rencontrer des parents qui ont vécu cette situation. On les voit dans le film d’ailleurs. Leurs enfants sont partis du jour au lendemain faire le Jihad en Syrie ou en Irak. J’avais besoin de comprendre leur désarroi, leur impuissance, leur solitude. Ils se retrouvent vraiment seuls. Avant personne ne les aide, et après on leur dit que c’est leur faute, qu’ils ont mal éduqué leurs enfants. Je voulais comprendre leur cheminement, certains sont partis essayer de récupérer leurs enfants à la frontière turque.
C’est important pour vous de vous engager auprès de ce type de démarche?
J’ai l’impression qu’en 25 ans de carrière, je n’ai fait presque que ça, faire des films qui expriment une certaine colère. Des colères que moi je porte aussi. Et là c’est vraiment une des plus grosses colères, que je ressens au quotidien. C’est très important pour moi en tant que comédienne de m’inscrire dans ce genre de projets, je suis culturellement musulmane, et je le fais pour moi, pour mes parents aussi. C’est important de le clamer, « Pas en mon nom, pas en notre nom ». Il me semble que les artistes culturellement musulmans, qu’ils soient pratiquants ou pas, doivent porter ces voix, et dénoncer cette folie. Qui n’a rien à voir avec ce que moi je considère être la religion musulmane. Bien que je sois personnellement agnostique, je sais comment mes parents et ma famille la pratiquent, et cela n’a rien à voir. C’est quand même vachement loin de tout ce bordel. C’est important pour moi en tant qu’actrice de m’inscrire dans ces sujets qui touche à l’islamisme radical, à la condition de la femme.