Olivier Gourmet, ministre des Transports de la République française, il fallait l’imaginer. Pourtant, cette idée de casting plutôt surprenante sur papier est d’une totale évidence lorsqu’on découvre L’Exercice de l’État; troisième long métrage de Pierre Schoeller, coproduit en Belgique par les Films du Fleuve des Frères Dardenne.
La prestation superlative d’Olivier est même un des grands atouts du film. Mais pas le seul! Sec et nerveux, vif, terriblement humain, L’Exercice de l’État est un thriller politique à couper le souffle qui nous dévoile le vrai visage des hommes derrière les masques. Dans leur fragilité et leur grandeur, avec leurs doutes et leur opiniâtreté, leurs faiblesses, leurs échecs et leurs combats.
Au Festival de Cannes, vous vous en souvenez sans doute, L’Exercice de l’État fut présenté dans la section Un Certain Regard, raflant au passage le prix Fipresci de la critique internationale. Quelques mois plus tard, au festival du film francophone d’Angoulême, Pierre Schoeller décrocha le trophée de la mise en scène. Une récompense doublée en octobre du Bayard du meilleur scénario au Festival international du film francophone de Namur. Preuve que l’homme est un artiste complet, aussi à l’aise derrière un clavier que sur un plateau.
Œuvre d’une maestria époustouflante, L’Exercice de l’État nous offre de partager (au plus près) un moment de la vie d’un ministre, face aux cruciales réformes à entreprendre (qu’il ne souhaite pas forcément), et aux drames à résoudre dans l’urgence. C’est donc le portrait d’un politicien, tiraillé entre éthique et devoir, constamment à la recherche de la solution idéale pour le pays… et pour sa carrière. Le dilemme est posé sans malice et Pierre Schoeller le développe à la perfection.
Taillé au cordeau, le scénario enchaîne les événements à un rythme haletant, confronte l’homme à la ligne stricte d’un gouvernement tenu de résorber la trop fameuse dette, mais également à ses convictions, à ses obligations, à son cabinet et aux petites attaques vicieuses des ennemis politiques (souvent venus du même parti). Ici, l’ellipse a droit de cité et le réalisateur ne s’appesantit jamais sur les détails. A charge pour le spectateur de rester concentré, l’esprit vif et en éveil pour capter chaque rebondissement dans l’instant.
Le texte est dense, le verbe soutenu. Pas à la portée de n’importe quel acteur. Mais, c’est l’autre face du génie de Schoeller: son casting est formidable. Aux côtés d’un Olivier Gourmet qui touche au sublime et offre une prestation qui fera date dans sa carrière, Michel Blanc d’une glaciale sobriété en chef de cabinet, Zabou Breitman, virevoltante en attachée de com et une constellation de seconds rôles consistants emportent l’adhésion. Sur le papier, la liste des noms était alléchante, mais pouvait susciter quelques interrogations. À l’écran, on nage dans le bonheur. Tout est évident.
Le troisième pilier de cette réussite est la mise en scène inventive (et risquée) qui marie hyperréalisme et paraboles kubrickiennes (voir la photo ci-contre). Schoeller varie le rythme comme personne, donnant des coups d’accélérateur quand on ne les attend pas, ralentissant la marche des personnages lorsqu’on pense que tout va s’emballer et ménageant des surprises colossales, des chocs scénaristiques. Et visuels aussi. Parce que la vie est ainsi: soudaine, incontrôlable, triste et exaltante; injuste, terriblement injuste. Parce que pour être ministre il faut jongler avec les impondérables et toujours être capable de relativiser.
La fonction politique, tant décriée ces temps-ci,en sort-elle grandie? Pas vraiment. Mais il n’y a pas non plus d’acharnement dans le chef de Schoeller qui tend à montrer ce qui est sans embellir, sans dépraver.
Au bout du compte, L’Exercice de l’État est une formidable réussite, saluée en France par une critique dithyrambique et un public qui a eu la curiosité de se déplacer pour le découvrir dès sa première semaine en salles. Le public belge viendra-t-il à son tour célébrer l’éblouissante prestation d’un de ses comédiens phares?