« Il pleut dans la maison », le dernier été

Remarquée avec son magnifique documentaire Petit Samedi, présenté à Berlin, lauréat du Magritte, et du Bayard d’Or au festival de Namur, Paloma Sermon-Daï présentait aujourd’hui à Cannes son premier long métrage de fiction, Il pleut dans la maison, chronique sensible et naturaliste du dernier été de l’enfance d’un frère et une soeur, projetés malgré eux dans le monde adulte.

Tout commence sur une route goudronnée, sous un soleil caniculaire. Makenzy, 15 ans, et Purdey, 17 ans, rentrent chez eux, les bras chargés de courses. Ils s’aident et se chamaillent. Ce moment anodin de la vie quotidienne revêt pourtant nombre d’indices sur le présente et l’avenir du frère et de la soeur. Aller au supermarché à pied, calculer ce qu’on dépense, choisir précautionneusement ce qu’on achète. Purdey et Makenzy sont confrontés d’emblée aux contingences de la vie matérielle, celles qui font aussi que dans la maison, le toit fuit. Très vite on comprend qu’ils vont devoir se prendre eux-mêmes en main, s’ils ne l’ont déjà fait, pallier l’absence d’adultes responsables dans leur foyer. Le père est inexistant, la mère est démissionnaire. Reste le lien indéfectible qui les unit l’un à l’autre.

Au fil de l’été qui avance, Makenzy s’accroche à son rêve, garder sa maison d’enfance, point d’ancrage et d’identité, alors que Purdey, peu à peu, voit s’éloigner le sien, étudier pour devenir infirmière.

A travers leur parcours teinté tout autant de mélancolie que de joies fugaces, Paloma Sermon-Daï aborde en sous-marin la question du plafond de verre qui empêche deux adolescents issus d’une classe sociale populaire de sortir de la précarité. Dans l’attention aux détails d’abord, les petits plaisirs qu’ils s’offrent, les mots qu’ils n’ont pas toujours, les récits qu’ils peinent à imaginer. Dans leur relations avec les autres aussi. La confrontation avec les personnages secondaires les renvoie sans cesse à leurs origines, là d’où ils viennent, les assigne à une condition dont ils seraient bien présomptueux de vouloir s’extraire, comme dans cette scène où Purdey comprend que l’accès à un logement sera un obstacle de plus pour elle. Dans la métaphore de la maison enfin, la maison qui prend l’eau, dont on tente désespérément de colmater les brèches.

C’est un été de petits riens qui font les grands touts. Un récit profondément ancré dans son territoire, la région du Lac de l’Eau d’Heure, zone marquée par la confrontation entre la grande précarité de nombre de ses habitants, et l’aisance des vacanciers qui viennent en villégiature. La cinéaste démontre à nouveau sa capacité à aborder l’intime avec une vraie pudeur mais sans faux-semblants dans cette fiction claire-obscure dont elle a confié l’interprétation à de vrais frère et soeur qu’elle connaît bien (Purdey – sa nièce- et Makenzy Lombet, stupéfiants de présence et de naturel), les entrainant avec elle dans une fiction puissante nourrie de réel. Elle parvient à transmettre la vertigineuse précarité qui plane sur l’existence de ses protagonistes sans jamais en faire un spectacle, se focalisant sur leurs doutes et leurs aspirations.

La torpeur que nous fait ressentir le traitement photographique de l’image (pensé avec le chef-opérateur Frédéric Noirhomme) semble s’abattre peu à peu sur les deux jeunes gens, dont les relations se distendent alors qu’ils voudraient se rapprocher. Cette maison qui tombe en ruines, dont ils essaient vainement de colmater les brèches, figure à la fois leur héritage et tous leurs repères, mais aussi le poids d’une assignation sociale qui freine leurs élans. Alors que l’enfance se lit encore sur leurs visages, ils sont propulsés dans une vie adulte qui laisse peu de place à l’espoir. A moins peut-être, surement même, que le lien indéfectible qui les unit ne les élève.

 

 

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