Après avoir jeté Laurent Lucas dans les profondeurs des Ardennes belges et poussé Emmanuelle Béart à défricher à la main la jongle thaïlandaise, Fabrice du Welz s’engage avec son nouveau film sur des terres plus balisées. L’homme au chapeau (qui en méritait bien un dans ces pages) se frotte avec Colt 45 à un genre grand public, le polar. Avec sous sa direction rien de moins que Gérard Lanvin et Joey Starr, deux acteurs 100% « brutes », gage de la violence ardente qui risque de consumer cette pellicule pleine de promesses…
Cinéaste racé, expérimentateur de l’image,Fabrice du Welz sort, avec Calvaire et Vinyan, de deux expériences aussi enthousiasmantes que douloureuses.
Les succès critiques rencontrés (le premier a glané quelques prix à Gerardmer et connu un vrai plébiscite sur le marché DVD, le second a séduit l’assistance vénitienne et une majorité de journalistes) ne suffisent pas à transformer l’essai : Vinyan, vendu dans 40 pays, ne rassemble pas 50 000 spectateurs sur le territoire français. L’échec est cuisant, la remise en question inéluctable.
« J’avais envie de suivre une lignée personnelle », confie Fabrice. « Mais l’échec de Vinyan m’a permis de mûrir et de ne pas m’enfermer dans mon autisme. Cet électrochoc m’a poussé à me repositionner. Je me suis demandé ce que je voulais faire : des films d’auteur comme Bruno Dumont ou des œuvres qui arrivent à toucher le public ? J’ai tellement d’amour pour le cinéma populaire, celui avec lequel j’ai grandi – ce qui ne signifie pas que je renie Bruno Dumont – que je veux plutôt évoluer sur ce terrain-là. »
Un film de pulsions
Cette opportunité survient grâce à l’opiniâtreté de Thomas Langmann. Le fils de Claude Berri marque rapidement son désir de collaborer avec du Welz : « À la sortie de Vinyan, Thomas m’a fait venir dans son bureau et m’a proposé deux projets qu’il a dans sa besace depuis un petit moment. Pour le coup, j’avais passé parce que je n’étais pas sûr d’être la personne la plus appropriée. Deux ans plus tard, son équipe m’a rappelé avec Colt 45. » Sous ce titre homonyme d’un western des fifties avec Randolph Scott se cache un polar français pur jus qui s’inscrit dans la grande tradition du genre porté aux nues par le cinéma de Jean-Pierre Melville, d’Alain Corneau ou de Jules Dassin.
« Aujourd’hui, le polar français se résume aux films d’Olivier Marchal, un cinéma dont je ne suis pas particulièrement client, avec tout le respect que j’ai pour l’homme. Colt 45 est au contraire une œuvre très sombre, plutôt politiquement incorrecte. Le film est plus proche du cinéma de Don Siegel ou des néo-polars italiens des années 70, les poliziottesco. »
Un pur film de genre sans compromis avec ce que cela implique en termes d’action et de violence. Le scénario signé Fathi Beddiar, ancien journaliste pour Mad Movies et auteur de Tolérance Zéro, La Justice expéditive au cinéma, mine d’or sur le genre vigilante, séduit d’entrée de jeu le cinéaste qui voit là l’occasion de se confronter à une histoire forte et fascinante, sans pour autant renier ses aspirations premières. « Il y a eu la proposition de La petite Reine sur ce script qui s’appelait à l’époque « Miles », un traitement de 200 pages, écrit avec un brio absolument incroyable. Ce script me permettait de combiner un pur film de genre avec des choses très vivantes, qui ont un écho réel par rapport à ce que j’essaie de faire. Colt 45 est un film de pulsions, comme mes travaux précédents. Mais différent, beaucoup plus bordé et plus efficace. »
L’histoire se focalise sur Vincent Miles, un jeune armurier et instructeur de tir à la Police nationale, qui possède un véritable don pour les armes, mais refuse d’intégrer une brigade de terrain. Son destin bascule le jour où il fait la connaissance de Milo Cardena, un flic trouble qui l’entraîne dans une incontrôlable spirale de violence. Il se alors retrouve plongé dans une féroce guerre des polices qui oppose son parrain, le commandant Chavez, à son mentor, le commandant Denard de la BRI. Pris au piège d’une véritable poudrière, Vincent n’aura pas d’autre choix que d’embrasser son côté obscur pour survivre…
Du messie à l’Alléluia
Mais un scénario à haut potentiel, malgré ce qu’affirme Sydney Pollack, n’est pas un gage suffisant de qualité. L’essentiel manque encore etLa petite reine, porteuse de projets remarqués comme Indigènes,Astérix aux Jeux olympiques ou The Artist, va considérablement accélérer le processus, grâce notamment à l’impulsion de son créateur, Thomas Langmann.
« Thomas est un personnage haut en couleur, incroyable, étonnant. C’est un peu le messie désormais, c’est l’oracle qu’il convient de consulter. Je me réjouis de collaborer avec lui car, dans le cinéma français actuel qui est très lisse, avoir des personnages aussi étonnants et ambigus, c’est plutôt jouissif. » Le producteur est à ce point messianique que c’est lui qui délivre la force de propulsion nécessaire pour que le projet embarque sur les rails : il propose de remplacer François Cluzet, pressenti au départ pour incarner le personnage de Chavez (probablement indisponible suite à son accident de parapente dans Intouchables), par un acteur estampillé « polar » avec Gérard Lanvin (L’Ennemi public n°1, Les Lyonnais), qui avait été envisagé au préalable pour un tout autre rôle ; les deux hommes se connaissent bien pour avoir collaboré sur le premier long-métrage de la boîte, Le Boulet.
Aux côtés de Lanvin, une autre star au charisme brutal, Joey Starr, ex-vedette du groupe NTM qui a depuis ajouté à son CV des expériences sous la houlette d’Olivier Dahan (Les Seigneurs) et Frédéric Beigbeder (L’amour dure trois ans) et a fait une sortie très remarquée dans le Polisse de Maïwenn. « Dès que ces deux noms ont été rattachés au projet, le film a pu se monter », explique du Welz. « Pourtant, le rôle du héros est porté par un inconnu, Ymanol Perset. Il débute et a juste fait deux petits films auparavant. Ce gamin de 20 ans a un parcours très particulier : il n’a pas vraiment de formation d’acteur et a fait l’armée. Mais je peux vous garantir que c’est un acteur fascinant. »
Le tournage a démarré mi-mai avec un budget avoisinant les 10 millions d’euros. Colossal pour le réalisateur qui n’a jusqu’alors connu que des productions plutôt modestes.
« C’est en effet le film le plus cher que j’ai réalisé, je vais certainement être plus contrôlé. En même temps, que tu aies deux, dix ou soixante millions, tu considères toujours que tu n’en as jamais assez. Il y a d’ailleurs sur Colt 45 un problème de budget. Il faut trouver des solutions, c’est difficile parce que j’ai beaucoup apporté au scénario. C’est un autre univers pour moi, j’étais dans le monde du cinéma d’auteur où je disposais du contrôle total sur mes œuvres. Puis la pression est énorme, d’autant que tous les regards convergent vers les productions de La petite Reine depuis le tabac de The Artist outre-Atlantique. Pour l’heure, j’ai à faire avec des mecs qui font des gros films, les enchaînent et ont une autre manière de réfléchir. Il faut donc que je m’adapte. »
En matière d’enchaînement, le cinéaste fait quelque peu mentir ses statistiques personnelles en casant deux tournages dans son agenda 2012. En effet, quelques mois après Colt 45, le Belge se lancera corps et âme dans Alléluia, séquelle officiellement officieuse de Calvaire et libre adaptation du fait divers des Tueurs de la lune de miel, écrite à quatre mains avec son complice Vincent Tavier. Puisse ce titre christique, sans nul doute prophétique, permettre à du Welz de se voir auréolé comme il se doit.
Damien Taymans
Damien Taymans qui a réalisé cet interview et écrit cet article est le rédacteur en chef de l’excellent Cinemagfantastique, magazine belge culotté et très décalé qui traite des genres habituellement abordés au BIFFF. Le n°1 n’est plus dans les points de vente mais il est disponible en formule abonnement.
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Toutes les photos de cet article sont l’oeuvre d’Alexandre Brasseur, acteur de théâtre et de cinéma qui a rejoint le casting de Colt.45… et en a profité pour réaliser quelques clichés intimes qu’il nous a gentiment prêtés.
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