Une Histoire d’amour qui sort ce mercredi dans les salles tourne autour de personnages singuliers. Des personnages qu’il fallait naturellement incarner avec conviction, car leur nature-même semblait incompatible avec la tiédeur. Pour donner corps à son récit épuré, Hélène Fillières a donc fait appel à un trio inédit, singulier, inattendu. Laetitia Casta est la femme, Richard Bohringer son mari et Benoit Poelvoorde, ce banquier, l’axe autour duquel, la scénariste-réalisatrice a décidé de faire pivoter son univers. Des choix indiscutables pour elle, des évidences.
[Les deux premières parties de cette interview sont accessibles ICI et ICI]
Pourquoi Benoît Poelvoorde ?
Quand il a été question que j’adapte le roman de Régis Jauffret, j’ai appris que Benoît Poelvoorde s’était, lui aussi, intéressé au livre. Lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avons en fin de compte assez peu parlé du roman, mais plutôt de la vie et des dysfonctionnements psychiques des êtres humains. En quelques heures, nous nous étions trouvés sur un terrain commun : les zones d’ombres de chacun d’entre nous comme autant de révélateurs de l’âme humaine.
Qu’il ait été, lui aussi, sensible à ce personnage m’a beaucoup touchée. Benoît est un être extrêmement sensible. Très intelligent et très fragile. Le masque comique qu’on lui fait souvent porter ne saurait cacher les méandres de ses zones d’ombres. C’est l’homme le plus mélancolique que je connaisse. Parfois très sombre, mais extrêmement attendrissant, je l’aime sincèrement et profondément.
C’était courageux de sa part d’assumer son attirance pour ce personnage. Sans que nous n’ayons jamais eu besoin d’explication de texte, Benoît était à chaque fois dedans, très instinctif, très en empathie avec le personnage. J’ai bien vu que Benoît était touché par le rôle, par l’irrévérence, le caractère impardonnable et pourtant si attachant du Banquier.
A sa façon, il a voulu lui rendre hommage, lui aussi. La convergence de nos points de vue autour du roman et le tournage du film ont fait naître entre nous une relation très forte. Comme un pacte secret.
Et le choix de Laetitia Casta ?
J’ai tout de suite pensé à elle. Et à personne d’autre. Face à Benoît Poelvoorde, je voulais une jeune femme “trop belle pour lui” . Une femme qui lui fasse presque mal aux yeux, une femme dont il aurait raison de douter à chaque instant qu’elle est amoureuse de lui. Je voulais que cette jeune femme soit absolument déroutante, à la fois innocente et maléfique malgré elle. Je voulais un ange doublé d’un démon.
Laetitia Casta m’est apparue comme une évidence. Elle est d’une beauté impertinente et en même temps absolument inoffensive quant à son pouvoir de séduction. Sans calcul aucun, elle est très difficile à cerner. Elle ne mesure pas le danger qu’elle dégage. Le couple que forment les deux protagonistes de cette histoire devait fonctionner comme une entité où l’un incarne le dysfonctionnement psychique de l’autre.
Si Laetitia Casta s’est imposée à moi c’est également parce qu’à l’instar de Benoît Poelvoorde, elle aussi est une femme blessée, sauf que ça se voit moins.
Ses blessures sont intériorisées. Le regard que l’on a sur elle est évidemment lourd à porter. Longtemps, on n’a accordé qu’une valeur marchande à sa personne. Elle a été mannequin, depuis son plus jeune âge elle a appris la vie et le rapport pécuniaire à la chair. Elle sait ce que signifie vendre son corps et vérifier si l’attention qu’on veut bien lui porter a valeur financière ou affective.
Pour moi, Laetitia est une sorte de Marilyn des temps modernes. Une fille qui sait ce que c’est que de plaire aux hommes mais qui cherche désespérément autre chose. Qui cherche à être aimée. Comme Marilyn, elle porte sa beauté presque comme un fardeau qui l’isole d’autrui.
J’ai bien senti que ce rôle comptait beaucoup pour elle. Comme Benoît, elle s’est engagée à fond. Comme Benoît, elle n’est pas sortie indemne du tournage. Ce sont des rôles qui laissent des traces. Tous les deux ont beaucoup donné. Les émotions n’étaient pas feintes.
Les douleurs non plus.
Et Le Mari ? Pourquoi, lui avoir accordé une place plus importante que dans le livre de Jauffret ?
Pour moi, Le Mari, c’est la deuxième figure masculine qui incarne à sa façon le mystère masculin. Dans mon histoire, il fallait qu’il soit développé. Il est inévitablement un acteur de cette tragédie. Sa passivité n’en fait pas un spectateur. En tout cas c’est la vision que j’en ai. Pourquoi accepte-t-il ce rôle et qu’est-ce que ce silence dit de lui ? En a-t-il rien à faire ? Est-il profondément meurtri ? Que pense-t-il vraiment ? Prend-il lui aussi un certain plaisir à souffrir voire à faire souffrir l’autre en restant aussi impassible ? C’est tout ça que je voulais filmer.
Lorsque Richard Bohringer a accepté d’interpréter le rôle du Mari, il a parlé du scénario comme si je lui avais écrit le rôle sur mesure. J’ai immédiatement su qu’il serait formidable à l’écran. Parce que c’est un acteur qui sait préserver son mystère et sa force quels que soient les aléas de la vie. Il ne montre rien de ce qui se passe à l’intérieur. Il est solide comme un roc et beau comme un dieu, mais à l’intérieur, on ne sait pas ce qu’il se joue. Et puis sa voix est unique. Ce n’est qu’après avoir tourné les premières scènes avec Richard que j’ai eu l’idée de lui faire dire les phrases en voix off du début film. Il est devenu le narrateur de cette histoire. Il incarne la temporalité. Il n’est pas omniscient, il est un survivant.
Suite et fin de cette interview, lundi prochain. Dans ce dernier volet, Hélène Fillières parle de la mise en scène, de l’ambiance sonore du film, de son passage du rôle d’actrice à celui de réalisatrice. Et du plaisir de diriger un film, de façonner une œuvre.