Sur le tournage de… « Nino dans la nuit »

Visite sur le tournage de Nino dans la nuit de Laurent Micheli (Even Lovers Get the Blues, Lola vers la mer), avec Oscar Louis Högström et Mara Taquin. 

Danser en silence. C’est l’étrange de mission d’une centaine de figurant·es réuni·es en ce mercredi de février dans un bâtiment désaffecté du centre de Bruxelles, pour jouer une scène de fête dans Nino dans la nuit, le nouveau long métrage de Laurent Micheli. Il faut dire que la fête est constitutive du parcours de Nino. Adapté du roman éponyme salué par la critique de Simon et Capucine Johannin, Nino dans la nuit suit l’itinéraire d’un jeune qui cherche sa voie, se demandant comment trouver sa place dans un monde dont il n’est pas sûr de vouloir respecter les règles du jeu. Alors Nino sort, s’échappe et parfois s’oublie dans la nuit, espace temps privilégié des rêves, mais aussi des cauchemars.

Laurent Micheli se souvient pour nous de ce qu’il a ressenti en découvrant le roman à sa parution en 2019: « ce qui m’a surpris, c’était de ressentir beaucoup de sensations physiques, quelque chose d’assez rare en littérature, parfois comme un trop plein, une nausée presque, la sensation d’être immergé dans l’univers d’une jeunesse qui vit des choses tellement intenses. Cela m’a vite semblé très prometteur cinématographiquement parlant. Et puis le roman aborde des thématiques qui me sont chères, des personnages qui questionnent la société dans laquelle ils vivent. Qui prennent aussi de la distance pour oser la remettre en question, et tracer de nouveaux chemins. Ce type de personnages, c’est un peu mon obsession je crois. Et puis il y avait beaucoup de poésie dans la façon de traiter cette jeunesse. Une jeunesse qui n’a pas beaucoup d’espoir auquel s’accrocher, mais qui cherche néanmoins son chemin. »

C’est dans la foulée de Nino que l’on traverse le film, à sa suite que l’on découvre une société en panne, en quelque sorte, qui peine à ouvrir le champ des possibles à ses jeunes générations. Mais c’est auprès de lui aussi que l’on expérimente la force du collectif, « parce que malgré l’adversité, ce qui fait la force de cette jeunesse, confie Laurent Micheli, c’est le groupe, le collectif. C’est un endroit de résistance aujourd’hui le groupe je crois. Nino s’accroche à la qualité, à la vérité de ses rapports aux autres. »

Pour Oscar Louis Högström, jeune comédien bruxellois que l’on a pu apercevoir dans The Chapel ou Habib, et qui tient ici son premier premier rôle, « Nino est constamment en lutte, contre certaines choses, mais aussi pour d’autres choses. Sa situation est assez précaire, comme pas mal de jeunes aujourd’hui. Il est en quête de solutions. Son échappatoire, c’est son amoureuse, Lale, ainsi que ses amis. Et puis il y a la fête aussi, où il se perd un peu parfois. Il est très impulsif, il lui arrive de lettre un peu le bordel, mais ça part toujours d’une bonne intention, se mettre et mettre ses proches à l’abri. »

« Il cherche sa place dans le monde, continue Laurent Micheli. Il a la sensation de n’avoir que des opportunités très décevantes qui s’offrent à lui, avec peu d’espace pour le rêve. Il va essayer de trouver une place qui fasse sens pour lui et son entourage, quitte à devoir l’arracher. La jeunesse d’aujourd’hui hérite d’une société dysfonctionnelle, de possibilités d’avenir pas franchement réjouissantes,  et d’un climat sérieusement anxiogène. Elle cherche comment s’en sortir. Et ce qui peut la sauver, c’est l’amour et l’amitié. »

Cette jeunesse en questionnement, en quête de renouveau voit dans la nuit un lieu des possibles: « c’est très politique, la nuit, finalement, poursuit le cinéaste. Quand le jour et le quotidien sont des facteurs de frustration, au boulot, dans les relations de domination que la société multiplie, l’une des façons d’être dans le plaisir et la joie, c’est la fête, un endroit où le cerveau peut se mettre sur pause et le corps se lâcher. On a bien pu voir pendant le Covid que la fête a continué d’exister malgré les interdictions, parce qu’il y a un besoin de se rassembler, un besoin de se retrouver. Les jeunes ont tellement souffert du manque de relationnel pendant cette période. C’est important d’exulter ensemble. Même si la nuit peut être un lieu de libération comme un lieu de perdition. »

Mara Taquin et Oscar Louis Högström

Mara Taquin, qui interprète Lale, semble parfaitement à sa place sur ce plateau, dans ce groupe aussi, et s’enthousiasme pour le portrait générationnel qu’esquisse le film: « Le film dépeint une génération laissée-pour-compte. Lale a beaucoup d’empathie pour les gens qui l’entourent, ce qui lui permet de supporter la situation. Ce qui la fait tenir elle aussi, c’est son amoureux et ses amis. Et puis la débrouillardise, au jour le jour, même si certains jours c’est plus dur de lutter. J’adore la façon dont le film met en valeur ce côté collectif, montre que l’on a tous des endroits à réparer, et que grâce aux gens qui nous entourent, on arrive à trouver un peu de lumière. »

Pour faire vivre ce collectif, il fallait composer le bon casting, et déceler les bonnes énergies. Laurent Micheli raconte: « j’avais envie de saisir une certaine vérité de cette jeunesse, de poser un regard presque documentaire sur elle, être très réaliste en tous cas. Bien sûr, c’est du cinéma, de la fiction, de la mise-en-scène, de la poésie. Mais le regard posé sur ces jeunes, je voulais qu’il ne soit jamais enfermant ni misérabiliste, qu’il reste rempli de vie, d’espoir et de lumière. Le casting a duré 6 mois, on a vu des non-professionnels comme des professionnels. Les quatre personnages principaux sont des comédien·nes pro, mais dans les autres rôles, il y a beaucoup de nouvelles têtes, qui a mon sens incarnent la fureur de vivre de cette jeunesse. »

Encore fallait-il que la chimie opère au sein du groupe. « Ce qui est marrant, confient Oscar et Mara, c’est qu’on se connaît depuis plus de dix ans tous les deux, avant même le cinéma. Et déjà on faisait la fête ensemble. » Dans le rôle des meilleurs amis de Nino et Lale, on retrouve Théo Augier Bonaventure (vu notamment dans Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain), et le musicien Bilal Hassani, qui tourne là son deuxième long métrage. « Avec Bilal et Théo, continue Oscar, ça a été une vraie rencontre, dès le casting ». Ce dont Laurent Micheli se souvient lui aussi avoir été témoin. A l’automne dernier, ils sont d’ailleurs partis, à cinq, pour un atelier de travail dans le Sud de la France: « il fallait commencer à créer le collectif, nourrir l’amitié, et développer une relation de confiance. C’est très important pour moi dans ma manière d’aborder la direction d’acteur. Cette confiance ne peut que servir le film et la fiction, le fait de se rencontrer, de prendre le temps d’amener de l’humain dans le temps du tournage, qui va très vite, et aussi fort qu’un torrent, parfois. »

Mara Taquin a su tirer profit de ce temps de préparation: « je me sentais déjà hyper remplie avant même le début du tournage, avec l’impression d’avoir un petit sac à outils dans lequel puiser. » Les deux jeunes comédien·nes vantent également cette relation, et l’ambiance du plateau, l’esprit d’équipe qui y règne. « Avec Laurent, c’est très doux, et très bienveillant, continue Oscar. On peut toujours remettre des choses en question, il prend le temps de répondre, de creuser un peu plus loin. Le travail d’ensemble qu’on fait, je n’avais jamais vu ça. Avec Clément le costumier par exemple, il nous pose plein de questions, on construit avec lui le personnage. »

Le tournage, piloté par Wrong Men, durera 31 jours en tout, entre Bruxelles, Paris, et le Sud de la France. Rendez-vous dans quelques mois pour découvrir le résultat.

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