Fin septembre 2023. L’été indien s’attarde sur Bruxelles, où l’équipe du nouveau film de Stefan Liberksi, De l’art ou du Machond, fait une pause au soleil, en attendant la reprise. Nous sommes à Evere, dans des studios de cinéma où a été installé l’un des décors principaux du film, la maison soucoupe de son héros, Machond, artiste contemporain en plein interrogation existentielle.
Artiste contemporain, interrogation existentielle… On n’est pas loin des « gros » mots. Pourtant, De l’art ou du Machond s’annonce comme une comédie dramatique absurde juste ce qu’il faut, portée par la malice de Stefan Liberski, et l’énergie de son interprète principal, Benoît Poelvoorde. Avant de les voir en action, on s’infiltre sur le plateau, pour découvrir la fameuse maison. « Attention: ceci est un décor, merci de ne rien appuyer sur les murs de la soucoupe! » nous prévient une pancarte. De l’extérieur, on fait donc le tour d’une sorte de sphère orange, dans un étrange matériau composite. Mais à l’intérieur, le décor est bluffant. C’est une vraie maison, tout en rondeur et en espaces libres, avec une petite salle-de-bain, une cuisine, un lit, une entrée, et surtout, un atelier d’artiste, où l’on découvre des dizaines de peintures accrochées un peu partout. Une caméra sur pied à 360° trône au centre du décor. « C’est une structure extrêmement modulable, nous explique Laureline Baron d’Artemis Productions, les parois sont toutes amovibles, et elle a fait le voyage avec nous en Normandie pour certaines scènes, notamment les extérieurs. Il suffisait d’enlever les murs pour pouvoir la déplacer, puis la réimplanter ici en studio à Bruxelles. »
Car cette maison, dans la fiction, est située au bord d’une falaise normande, en terres impressionnistes, où le héros du film, Machond, artiste conceptuel en mal de sens et d’inspiration pense pouvoir se reconnecter avec sa créativité. Au début du film, il est dans une sorte d’impasse. Sa carrière artistique est au point mort, il n’a jamais réussi à donner suite à son chef d’oeuvre, une salle vide. Quand il prend sa retraite de l’enseignement, il en profite pour donner un coup de pied dans la fourmilière de sa créativité, et changer d’air. « Il déménage, il liquide sa vie d’avant, nous explique Stefan Liberski. Il va tenter en allant vivre en Normandie, sur la terre des impressionnistes, dans des paysages de mer, de falaise, de retrouver l’élan qu’il a perdu. » C’est un bon début, même « si sa démarche est encore un peu intellectualisante », s’amuse le cinéaste. Même quand il s’achète une maison, « c’est une maison concept, un peu décatie, un peu absurde, mais qui à ses yeux a l’incomparable charme d’être unique, d’être un prototype. Il lui faut toujours des références, de l’avant-garde, de l’authenticité. »
Car le problème avec Machond, c’est qu’il a perdu contact avec la réalité. « Il est perdu dans ses concepts, dans le langage. Dans l’irréalité en fait. Il est traversé de théories, à tel point qu’il n’arrive plus à appréhender la beauté simple des choses. Il faut toujours que ça passe par l’intellect. On peut avoir l’impression aujourd’hui que les gens ne ressentent plus rien tellement ils sont dans les images préconçues, les idées toutes prêtes, ce qu’il faut dire, penser, l’idéologie. Ca crée comme une espère ce vitre opaque entre eux et la réalité. Hors, la beauté des choses, c’est aussi ce que les artistes devraient pouvoir transmettre, véhiculer, interpréter. Machond à ce stade de sa vie en est incapable. »
On pourrait se dire qu’il n’est pas le seul, dans une société où tout ou presque passe par une sorte de médiation, où il n’y a plus d’accès direct aux choses. « Oui, à commencer par nos téléphones, plaisante Stefan Liberski en montrant le smartphone avec lequel nous enregistrons la conversation. Tout passe par là. On ajoute des filtres au lieu d’en enlever. »
Evidemment, une fois installé en Normandie, rien ne va se passer comme prévu pour Machond, ou plutôt… rien ne va se passer! « Une fois là-bas, rien ne lui arrive, rien ne change dans sa vie. Jusqu’à ce qu’un gars du cru vienne s’installer sur sa parcelle pour peindre des choses simples. Une vraie rencontre humaine, et c’est ce personnage qui va lui présenter d’autres gens, et notamment une galeriste dont Machond va tomber amoureux. »
Ah oui, les autres, on y vient. Si Machond est incarné par Benoît Peolvoorde, face à lui, on retrouve du beau monde, et pas qu’un peu. Le peintre « naïf », c’est Gustave Kervern. La galeriste, c’est Camille Cottin, pour laquelle Liberski avait écrit le rôle sans vraiment oser rêver qu’elle l’accepte, « ce qu’elle a fait en moins de deux jours! » Et dans le rôle du mari de la galeriste, François Damiens. Autant dire que l’atmosphère est tonique sur le plateau, d’autant que Benoît Poelvoorde s’est grandement impliqué dans le rôle.
Quand on demande à Stefan Liberski quelles sont les origines de ce projet, il se souvient d’une rencontre avec le comédien lors de l’Intime Festival, le festival littéraire que l’acteur organise à Namur. « On a parlé de ce livre de Jean-Philippe Delhomme, un auteur que nous apprécions tous les deux beaucoup. Benoît adorait le personnage, j’adorais le roman, et on s’est dit qu’on allait en faire un film. Bon, dans la vraie vie, les choses ne vont pas aussi vite. J’ai commencé à écrire de mon côté, ça a pris pas mal de temps de mettre les choses en place, j’ai changé de producteur, mais Benoît est toujours resté lié au projet, on en reparlait régulièrement, jusqu’à ce que les choses se concrétisent enfin. Au final, le scénario est librement inspiré du livre, mais c’est de là que vient l’idée originale. »
On devrait découvrir en 2024 ce que sont devenues les aventures de Machond…