Mercredi 29 juin. L’Arenberg ouvre son 22e Ecran Total avec, mais oui, carrément, une première mondiale: Elle ne pleure pas, elle chante. Un événement. Aussi pour le réalisateur.
« Quasi personne n’a encore vu le film terminé, sinon deux ou trois collaborateurs très proches, mes producteurs et l’actrice principale. Demain, le public le découvrira pour la toute première fois »
Dure épreuve pour un premier long métrage de fiction. Philippe de Pierpont qui l’a réalisé est connu jusqu’ici pour ses documentaires, ses scénarios de bandes dessinées, ses prestations théâtrales aussi. Créateur complet, il a attendu fort longtemps pour se lancer dans cette aventure à laquelle il rêve depuis toujours.
« Pendant toutes ces années, je me suis interdit de me lancer dans un long film de fiction », explique-t-il. « Je suis cinéaste, j’adore ça, je veux donc tourner. Je n’avais pas envie d’attendre, quatre ou cinq ans comme mes amis qui pratiquaient le genre et qui doivent patienter pour trouver les financements, bâtir une équipe, etc. Les difficultés rencontrées par certains de mes contemporains très doués comme Jaco van Dormael ou Harry Cleven, des gens dont je me sens proche, m’effrayaient. Avec le documentaire, j’étais assuré de me lancer dans un nouveau projet tous les ans, tous les ans et demi au maximum. Ces films ont tous été produits par les frères Dardenne avec qui j’ai d’ailleurs travaillé comme second assistant-réalisateur (sur La Promesse, ndlr). J’ai aussi réalisé un court métrage de fiction, L’Héritier, qui fut sélectionné à Venise.
Et l’envie de raconter des histoires alors ?
« Quand j’avais en tête des récits qui m’obsédaient un peu trop, je les adaptais en BD. Ainsi, je n’étais pas frustré, et je pouvais continuer à tourner. »
Hé oui, c’est simple la vie quand on ne se la complique pas. N’empêche: Philippe de Pierpont a finalement succombé à la tentation qui le tenaillait et s’est lancé dans l’écriture et le tournage d’un long métrage de fiction avec le soutien de Iota production qui assurera aussi la distribution du film. Une première pour cette société. Il faut dire que cet aspect du business devient petit à petit sa pierre angulaire. Amener les films belges dans les salles n’est pas une sinécure. Iota a donc mis au point une distribution originale : pendant l’été, le film sera visible à l’Arenberg, puis à Mons, au Caméo namurois et enfin au Churchill de Liège. Entre-temps, il aura fait escale au festival des films du monde de Montréal et devrait se retrouver à l’affiche d’autres événements cinéphiles. A Gand ? Pourquoi pas ! Au FIFF namurois, il sera projeté dans la section Focus : normal, il ne sera plus inédit sur le sol belge.
Maintenant qu’il s’est laissé séduire par la belle sirène, Philippe de Pierpont sait qu’il ne quittera plus la fiction. Ou alors, occasionnellement. Il peaufine deux nouveaux scénarios. Un d’eux est d’ailleurs déjà très loin dans sa gestation.
» J’aime travailler avec les acteurs. C’est un plaisir incroyable de les voir interpréter ce qu’on a rêvé, puis écrit, puis expliqué. Mais contrairement à ce que peut penser le public , les différences entre documentaire et fiction ne sont pas énormes: on parle toujours de cinéma avec des plans, des raccords, du champ, du contre-champ, du hors champ, des cadrages … Bizarrement, la liberté artistique est plus importante dans le monde du documentaire. Enfin, « était plus importante », car les télévisions ont tendance aujourd’hui à vouloir formater les créations. C’est dommage. Une différence fondamentale, par contre, c’est la gestion au quotidien. Quand je tourne un documentaire, je pars avec un cadreur et un preneur de son. On est trois. On est libres. Même sur un « petit » tournage comme celui de Elle ne pleure pas elle chante, on était trente ou quarante en permanence. C’est beaucoup plus compliqué à gérer. Parfois un peu stressant. Dans une fiction, la logistique est telle qu’on peut parfois perdre complètement le fil créatif. »
Et cette expérience de direction d’acteurs ? « J’ai fait beaucoup de théâtre comme metteur en scène, mais surtout comme acteur. Je sais donc ce que les comédiens attendent d’un réalisateur. Parfois, entre nous, sur les planches, on se disait: « mais qu’est-ce que ce type raconte ? Ca ne nous intéresse pas. Ca ne nous apporte rien ». J’essaie donc de ne communiquer que des choses utiles qui servent le film et le travail de l’acteur. Quand on réalise un documentaire: on va vers des gens qui ne nous attendent pas forcément. Lorsque je les rencontre, mon travail est de faire émerger l’invisible. Mais en respectant mes interlocuteurs. C’est capital. Avec les comédiens aussi, il s’agit parfois d’aller chercher en eux des sensations et de les faire affleurer. Finalement les démarches sont assez proches. Mais les comédiens, eux, sont volontaires et payés. »
Fort sympathique et extrêmement volubile, Philippe de Pierpont nous propose donc pour son premier long de fiction un film tendu sur un sujet grave. « J’ai décidé de faire ce film en lisant le court roman homonyme. C’était une évidence. Une nécessité absolue. Au bout du compte, il ne reste pas grand-chose du livre, quasi aucun dialogue par exemple, mais la trame elle n’a pas changé: il s’agit toujours de l’histoire d’une femme de 28 ans abusée par son père pendant son enfance et qui vient régler ses comptes avec lui alors qu’il se trouve dans le coma à l’hôpital. Je n’ai pas compris tout de suite ce qui me fascinait là-dedans. Ce n’est qu’ensuite que j’ai réalisé les raisons de cet intérêt ».
On n’en saura pas plus.
« Ce n’est d’ailleurs pas, comme on peut le penser, un film sur l’inceste, mais sur le processus de libération d’une femme, d’un être humain, en général. C’est un drame, bien sûr, mais c’est aussi, je pense un film lumineux. C’est l’histoire d’une personne qui décide d’arrêter de faire semblant que tout va bien. C’est donc une guérison. »
Lumineux, certes, mais léger, sûrement pas… « Mes nouveaux scénarios sont aussi des drames. Dans la vie, je suis pourtant quelqu’un d’ouvert et qui aime s’amuser, mais bon… »
Pas de quoi être surpris: certains comiques sont, dans la vie quotidienne, plutôt sinistres. Finalement la création permet d’opérer de subtils mouvements de balancier…
[La photo qui ouvre l’article est piquée à la page Facebook de Philippe de Pierpont. Les autres photos sont toutes extraites du film.]