Mehdi Dehbi : hors normes !

Un an après que nous l’ayons rencontré pour sa prestation dans le Sac de Farine, Mehdi Dehbi revient à la une de l’actualité culturelle avec une série d’évènements qui démontre (s’il en était besoin) l’étendue du talent de ce jeune artiste décidément hors norme: le film de Kadija Leclere est en course pour les Magritte (et le Magritte du premier film), Je ne suis pas mort sorti cet été en France a été présenté au festival du film méditerranéen, Mehdi a adapté Les Justes de Camus qu’il a mis en scène au théâtre des Tanneurs… et il sera bientôt au générique d’une série américaine prestigieuse.

Une actualité éclectique, plus une carrière au cinéma qu’il continue à étoffer avec des rôles qui le touchent particulièrement. Cinq axes à notre rencontre où l’acteur de 28 ans toujours éclatant d’intelligence et de maturité, lucide et brillant, nous donne son point de vue rarement consensuel, mais éclairé par une réflexion profonde et sincère. Le point de vue d’un homme exigeant avec tout le monde, mais surtout avec lui-même… « car sinon, ce ne serait que de la vanité ».

 

 

LES MAGRITTE / CESAR

 

« Ce genre de grandes célébrations du cinéma où on a l’impression d’exister ou de ne plus exister, j’ai un peu de mal avec ça. Ca me semble très hypocrite en fait et tellement relatif. Les récompenses dépendent rarement de ce que vous avez fait, de la qualité de votre travail, mais plutôt de votre présence dans un film qui est visible ou pas, aimé ou pas. Votre nomination et éventuellement votre victoire dépendent aussi des relations que vous pouvez avoir avec les professionnels qui votent, de la façon dont ils vous perçoivent et ce qu’ils recherchent. En France, j’ai beaucoup de contacts avec des directeurs de castings et je suis persuadé que la plupart ne voteraient jamais pour moi. Ce n’est pas de la parano, pas du tout, mais je sais ce qu’ils attendent et ce n’est pas forcément ce que moi j’ai envie de leur donner.  »

 

 

JE NE SUIS PAS MORT

 

Présenté en décembre au festival du film méditerranéen, Je ne suis pas mort de Mehdi Ben Attia n’est pas sorti en Belgique, mais a recueilli en France des critiques très positives. On se souvient notamment d’un débat à l’émission culte de France Inter, Le Masque et la Plume où les quatre journalistes réunis ce soir-là n’ont pas tari d’éloges pour la prestation de Mehdi qui y tient le rôle principal.

 

« Le film a été tourné en décembre 2011 et n’est sorti que cet été en France. Entre temps, on a participé au festival de Berlin. Ce film suscite toujours un débat intéressant sur l’identité. Il est étrange. Du coup, c’est intéressant d’en discuter avec le public. C’est ça le but de mon investissement : le prolongement de ce qu’on fait devant la caméra c’est de rencontrer les gens, d’échanger avec le public qui a vu le film ou le spectacle dans le cas des Justes.

 

Je ne veux pas participer à ce concept d’imagerie glamour dont certains s’entourent. Je n’aime pas l’idée qu’il faut être en distance, qu’on ne doit pas être en contact. Je n’aime pas cette idée qui voudrait qu’un acteur soit hors de la réalité, loin du monde, qu’il gagne beaucoup d’argent et donc qu’il évolue dans d’autres sphères. Mon métier, je ne le concevrai jamais comme cela, je le sais. Du coup, et ça nous ramène à la question des récompenses, je n’aspire pas à une reconnaissance de ce type, je n’ai pas spécialement envie qu’on me mette, moi, en valeur, pas envie de me retrouver à la une de magazines. Ça ne fonctionnera jamais comme cela pour moi. Ce n’est pas mon but dans la vie. »

 

 

 

UN AN DE TRAVAIL

 

« Quand on s’est rencontré l’année dernière, je travaillais sur Romeo et Juliette au théâtre. Je suis ensuite parti à New York parce que ça fait des années que j’ai envie d’y vivre et d’y habiter. J’ai quitté l’Europe avec mes valises dans l’optique de m’y installer. Le premier objectif était de dénicher un agent, on l’a trouvé. Je voulais aussi former une équipe pour tenter de poser les choses et travailler là-bas, avoir un visa, et remplir toutes les formalités. Tout ça a été fait. Mais je suis rentré en Europe assez vite, car un jeune réalisateur qui s’appelle Bruno Ballouard m’a annoncé qu’il était prêt à tourner.  Il m’avait contacté il y a quelques années. En développant son projet il avait pensé à moi pour incarner un des personnages de Lily Rose, une histoire et un scénario magnifiques.

 

C’est toujours touchant lorsqu’on pense à vous d’emblée et je lui avais donné ma parole de travailler avec lui quand le film se monterait. Je suis donc revenu avec plaisir. Les deux autres acteurs principaux sont Salomé Stévenin et Bruno Clairefond. Lui n’est pas encore très connu, mais c’est un superbe comédien qu’on a surtout vu jusqu’ici dans beaucoup de courts métrages.

 

Le budget était très mince et on a tous fait ça dans la joie et la bonne humeur avec énormément d’énergie. C’était un tournage fantastique qui s’est déroulé en juin et juillet en Bretagne et en Champagne-Ardenne, un film très libertaire qui parle de deux potes et d’une fille qui sort de sa vie, de sa mécanique, de son système pour rejoindre ces deux âmes plus ou moins rebelles. Je ne sais pas ce que donnera le film une fois fini, mais ce tournage a été un vrai moment de bonheur. C’est ce genre d’expériences qui me fait avancer.

 

En octobre et novembre, j’ai enchaîné avec un film italien où j’interprète un Irakien. On l’a filmé dans le désert tunisien, car cette période fut, en Irak, une des plus sanglantes de ces dernières années. J’ai appris l’italien pour la circonstance, c’est le genre de défi qui m’intéresse. Si demain, on me propose un film en flamand, je saute sur l’occasion, ça m’emballerait (ndlr. Mehdi parle déjà couramment le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’arabe). Ce sera, je crois, un beau film très nécessaire avec Isabella Aragonese dans l’autre rôle principal.

 

 

 

LES JUSTES

 

En décembre, Mehdi Dehbi était au théâtre des Tanneurs où il proposait Les Justes d’Albert Camus… dans une version arabe surtitrée en français. Un texte dense que le jeune comédien a adapté lui-même et mis en scène avec la volonté de placer ce classique dans une perspective palestinienne ce qui semble à Mehdi une évidence depuis très longtemps.

 

« Ce n’est pas la volonté de diriger qui m’a amené à cette aventure, mais une histoire d’amour pour un texte qui m’a toujours accompagné et une passion pour des acteurs qui pouvaient l’incarner différemment, avec conviction et émotion, dans une dynamique unique et forte.

Au départ, je voulais bien sûr jouer dans la pièce, mais je me suis vite rendu compte que c’était impossible. J’ai rapidement compris que si on veut être très performant, on ne peut pas faire les deux. Surtout avec un texte comme ça.

 

Le spectacle est une création du théâtre de Liège que j’ai portée avec Serge Rangoni que j’ai été trouver il y a cinq ans. On ne se connaissait pas, mais on s’est tout de suite très bien entendu. Il s’est immédiatement déclaré intéressé en précisant que le projet devait mûrir. De fait, je me suis mis à beaucoup voyager. J’ai observé, lu, réfléchi sur la cause Palestine et les malheurs qui frappent ce peuple. Petit à petit, je me suis forgé mon propre avis, sans le filtre des médias et des poncifs. C’est un avis très nuancé. Je me garderais de  juger définitivement qui que ce soit, car il n’y a pas une vérité, des tyrans et des victimes : la responsabilité de la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui est multiple.

 

Petit à petit le projet a progressé. J’ai recruté deux acteurs palestiniens, une Syrienne, une Jordano-Irakienne et un Franco-Marocain, car je n’ai pas trouvé cinq acteurs palestiniens qui pouvaient porter le spectacle. L’an dernier le responsable du théâtre des Tanneurs est venu voir le works in progress et m’a proposé de jouer le spectacle à Bruxelles.

 

 

Au départ, je voulais bien sûr emmener Les Justes en Palestine, mais aujourd’hui, je suis beaucoup plus partagé: qu’est-ce que je vais aller leur dire? Est-ce que je vais les juger? Est-ce que je vais aller leur donner des leçons? Je ne crois pas.

 

Moi, je suis né ici. Je suis allé là-bas pour voir comment ça se passait et objectivement, c’est la folie. Humainement, c’est aux limites du supportable. Ce qui était le plus intéressant, c’est la démarche inverse, celle que j’ai déjà faite : prendre des acteurs du Moyen-Orient qui connaissaient le problème et venir ici à en Belgique expliquer un point de vue, car je pense que le public occidental a une idée très fausse du monde arabe, du terrorisme même. Le traitement de l’information ici me semble totalement biaisé. Pour moi, le vrai terroriste, c’est le politicien qui alimente une certaine peur, une certaine idée de la terreur.

 

Ce projet a été épuisant et je pense que ça restera un one shot : je ne crois pas que je vais recommencer de si tôt avec un autre texte, un autre auteur. Ce n’est pas l’objet de ma démarche. Porter un projet pareil de l’idée de départ jusqu’aux représentations en passant par tous les stades du montage pratique, demande un investissement et une énergie incroyables.

 

 

 

TYRANT

 

Entre les deux films que j’ai tournés en France et en Tunisie, j’ai participé à un projet complètement différent : le tournage du pilote de Tyrant, une série américaine prestigieuse mise en chantier par Howard Gordon et Gideon Raff, les créateurs d’Homeland et  Craig Wright qui a travaillé sur Six feet Under. Ma représentante aux États-Unis m’a demandé de faire des essais il y a un an. À l’époque j’ai envoyé des video tapes. Quand j’étais là-bas, elle a insisté pour que je rencontre le directeur de casting.

 

Pour une série de raison, le projet a été provisoirement stoppé. Pendant tout le temps que j’étais aux États-Unis, il est resté en stand-by. C’est seulement pendant que j’étais en tournage en France que les producteurs ont remis Tyrant sur les rails avec un nouveau réalisateur. David Yates (photo ci-dessous) qui est aussi un des producteurs exécutifs de la série a réalisé les quatre derniers épisodes d’Harry Potter.  Il sait ce que c’est de diriger un projet à gros budget.

 

 

Le pilote a été filmé en septembre au Maroc. Comme d’habitude, cette entrée en matière est l’occasion d’introduire tous les personnages.  Je suis présent, j’ai un texte et quelques scènes, mais rien de fracassant. Cela dit, c’est maintenant officiel : le pilote vient d’être validé par la Fox et FX et la série va être mise en chantier. Le tournage des dix épisodes débute en février et la série sera diffusée aux États-Unis cet été. (ndlr. on en reparle bientôt, beaucoup plus en détail)

 

Pour moi, cette année a été ahurissante puisque je suis passé  de l’univers de films fauchés à ce monde de luxe absolu pour ensuite monter une pièce à Bruxelles. Cette série d’expériences et de transitions dingues m’oblige à m’adapter constamment. Je me sens un peu comme un homme élastique. C’est à la fois passionnant et fatigant. Mais j’adore ça.

 

Archives:

Nous avons déjà consacré ICI un portrait vidéo à Mehdi

Dés le mois de juillet, nous vous parlions de Tyrant (ICI)

La bande-annonce de Je ne suis pas mort est ICI

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