Au Festival de Cannes, il montera les marches avec l’équipe de A Perdre la raison, 5e long métrage très attendu de Joachim Lafosse qui réunit Émilie Dequenne, Tahar Rahim et Niels Arestrup. Matthieu Reynaert, tout juste 28 ans, en a écrit le scénario avec le réalisateur. Ensemble ils ont voulu faire d’un sujet délicat un film digne et sensible, pudique aussi, une œuvre de cinéma.
Matthieu Reynaert? Le nom apparaît familier. Mais dans le circuit professionnel, le prénom l’est déjà tout autant. Matthieu est tout, sauf un fils de…
– Qui va croire une seule seconde qu’un réalisateur comme Joachim Lafosse qui est le prototype de l’individu farouchement indépendant va s’emmerder à faire écrire son film par quelqu’un, juste parce qu’il est le fils d’une personnalité? Il s’en tape. Cette relation familiale a au contraire plutôt été un handicap quand il s’est agi de présenter le projet à Wallimage (ndlr. même si l’examen du dossier se fait sous l’angle objectif des dépenses en Wallonie, Philippe Reynaert a quitté les débats qu’il préside habituellement). Certaines personnes qui me connaissent peu me disent « ha, tu marches dans les traces de ton père ». Mais mon père n’est pas scénariste, ni réalisateur. On ne fait pas du tout le même métier. Évidemment, une passion s’est transmise d’une façon ou d’une autre, mais il ne m’a jamais poussé à faire du cinéma. Je connais peu de parents qui sont rassurés lorsque leur enfant leur annonce qu’il veut travailler dans ce milieu. Les miens pas plus que d’autres. »
La passion du cinéma? Elle est venue très tôt chez Matthieu et de façon un peu étrange.
– J’avais sept ans quand j’ai eu le déclic avec la trilogie Star Wars. Je me souviens très bien que la RTBF diffusait les films le jeudi soir. Mes parents les enregistraient sur VHS et nous les regardions le samedi. A cet âge, tous les gamins veulent être Luke Skywalker ou Han Solo. Moi, je voulais être George Lucas. Je ne m’emballais pas que sur les héros. C’est le film lui-même qui m’éblouissait. Je rentrais dans l’histoire bien sûr, mais je me demandais surtout : « qui a fait ça? Comment c’est possible? » Je me suis d’abord passionné pour les effets spéciaux, puis au fil des ans, à d’autres aspects de cet univers. J’ai ainsi découvert Joseph Campbell, un anthropologue qui a notamment écrit deux livres passionnants : « La Puissance Du Mythe » et « Le héros aux mille et un visages ». Il a étudié les mythes et légendes de toutes les civilisations premières qui sont souvent totalement déconnectées les uns des autres et il a entrevu les mêmes thèmes et structures sous-jacents dans toutes les histoires de l’humanité. Ce fut une des inspirations essentielles de George Lucas et aussi sans doute la raison de l’incroyable succès de son film.
Pendant toute sa scolarité, Matthieu se passionne alors pour le cinéma, voit un maximum de films. En 2003, il rejoint Cinergie et entreprend une septième année à l’Athénée Royal d’Auderghem, dans la section cinéma, afin de préparer au mieux les examens d’entrée dans une école de cinéma. L’année suivante, il rejoindra l’IAD en section réalisation.
– J’ai rencontré des gens très intéressants à l’ARA. Je suis toujours en contact avec certains d’entre eux. Je me suis logiquement lancé dans la section réalisation de l’IAD. C’était vraiment mon objectif depuis toujours. Et là, stupeur ! Je découvre que me retrouver sur un plateau au milieu de tout le monde ne m’amuse pas. C’est du stress pour tous, mais au bout du compte les autres semblaient ravis. Pas moi. Ça ne correspondait pas à ma personnalité. J’ai alors sérieusement réfléchi et je me suis rendu compte que le poste où j’étais le plus épanoui et, si j’en crois mes professeurs, le plus doué, c’était l’écriture.
J’ai donc switché vers l’ULB où il y a une section qui s’appelle « écriture et analyse cinématographique ». C’est un master de deux ans qui nous plonge dans la théorie, l’analyse et l’écriture. On y avait beaucoup d’ateliers et le mémoire consistait à rédiger un scénario de long métrage. Mon directeur de mémoire était Luc Dardenne. Il a donc supervisé l’écriture de mon premier long métrage qui ne verra jamais le jour, bien sûr, mais quelle chance ! C’est évidemment une des expériences les plus formatrices de ma vie. Luc ne me disait jamais « fais ci ou ça, ça fonctionnera mieux ». Il me posait sans arrêt des questions sur les motivations des personnages dans une scène, leur attitude. Parce qu’évidemment il savait que la scène ne fonctionnait pas et que la seule réponse était « parce que ça m’arrange pour faire avancer l’histoire », ce qui n’est jamais une bonne réponse. »
La vie est faite de rencontres décisives, parfois inattendues qui changent son cap. Celle qui va tout déclencher pour Matthieu se déroule hors du cadre scolaire.
– Quand on sort d’une école comme celle-là, on s’est fait des copains avec qui on a envie de monter des projets. On a des connexions entre nous, pas forcément vers l’extérieur. Par chance, Joachim Lafosse m’a très vite contacté. On s’était rencontré l’été précédent au festival de l’âge d’Or à la Cinematek. Il faisait partie du jury et nous avions discuté à la cafétéria. Un an plus tard, il travaillait sur un sujet délicat et cherchait des regards extérieurs, frais et différents, surtout ceux de jeunes scénaristes. Il m’a donc envoyé son texte et comme ce boulot me passionne, je m’y suis mis très sérieusement. J’y ai passé beaucoup de temps. Je sais que d’autres ont fait le même boulot, mais j’ignore de qui il s’agit. Mon approche lui a plu, il m’a appelé une deuxième fois, une troisième puis une quatrième pour me dire que finalement il abandonnait ce projet… mais qu’il voulait essayer de collaborer avec moi sur autre chose. Il m’a alors parlé de son envie d’écrire et de réaliser un film inspiré par l’affaire Lhermitte. En tant que futur scénariste, un des aspects du métier qui m’attirait particulièrement était d’écrire un jour à partir d’un fait divers. C’est une expérience très particulière qui te place devant des responsabilités et dans un cadre strict. Un défi. Qu’on me donne l’opportunité d’exaucer ce vœu si tôt dans ma carrière était presque surréaliste.
On a travaillé très longtemps sur ce scénario (ndlr. nous y reviendrons pendant le festival) et il y a bien sûr eu quelques moments plus tendus, mais jamais Joachim n’a tranché en disant : je suis le professionnel et toi tu débutes, donc on fera comme j’ai dit. Toutes les suggestions, toutes les remarques étaient concentrées sur la volonté d’équilibrer les scènes, de toucher le spectateur en restant pudiques et dignes.
Moins tenu par des contingences financières qu’un metteur en scène obligé de se plonger à corps perdu dans un unique projet, le scénariste peut expérimenter, ébaucher, aider les autres sur leurs propres histoires. Matthieu ne s’en est jamais privé.
– Parallèlement à mon travail sur A Perdre la raison qui a quand même duré près de deux ans, j’ai écrit quelques scénarios: des courts et un long, une comédie déjantée autour… d’une poule tueuse en série. Pour Nexus Factory (Dead Man Talking), j’ai aussi développé deux concepts de séries télé. Une d’entre elles a été présentée au festival de La Rochelle. Il s’agit d’un thriller d’anticipation qui demande des moyens pour être mis en œuvre. Rien ne dit qu’elle ne verra jamais le jour, c’est une production qui doit être solide. L’autre est une série d’action divertissante. En fait, le premier film qui devrait être mis en chantier par Nexus est une comédie historique décalée dont je ne peux contractuellement rien dire à ce stade. J’aime bien travailler avec ces producteurs qui ont mis au point un poll de scénaristes qui se rencontrent une fois par mois et donnent ouvertement leur avis sur les projets des autres. C’est une méthode fort enrichissante pour tout le monde. Quelque part, c’est du script doctoring permanent.
Cette discipline peu connue du grand public consiste à étudier le scénario d’un autre pour l’aider à en découvrir les failles et les faiblesses. Selon le contrat proposé, la mission peut être consultative ou créative. Le script doctor collabore ainsi avec le ou les scénaristes pour fortifier le récit. Matthieu et Joachim ont par exemple profité pour A Perdre la Raison de l’expertise de Thomas Bidegain, un des auteurs d’Un Prophète pour terminer leur scénario lors d’une séance-marathon dont Matthieu raconte volontiers que ce fut une expérience unique et formidable.
Reconnu pour sa lucidité et sa faculté à débloquer des situations complexes, Matthieu est d’ailleurs devenu en quelques années un des script doctors belges très prisés. C’est d’abord Versus, producteur de Joachim Lafosse, mais aussi de Bouli Lanners ou Olivier Masset-Depasse, qui lui a demandé de donner son point de vue sur quelques scénarios en cours, puis d’autres producteurs qui lui ont proposé des jobs analogues. Une réputation se construit vite dans le métier. Et peut se détricoter tout aussi rapidement.
– À chaque fois, le travail est différent. Parfois il s’agit de voir si l’histoire fonctionne ou pourquoi certains rouages grincent. Sur un projet, on m’a confié le scénario pour que je trouve des moyens d’épargner 500.000 euros qui n’avaient pas pu être décrochés.
Bizarrement, les idées drastiques avancées par Matthieu pour réaliser cette prouesse font aujourd’hui la force de ce film, une des œuvres marquantes de ces dernières années.
– J’aime bien rencontrer des gens de tous horizons, j’aime passer d’un genre à l’autre. J’imagine qu’A Perdre La Raison va m’ouvrir quelques nouvelles portes, mais des projets, j’en ai. Certains vont mourir dans l’œuf et d’autres vont aboutir. Tout prend beaucoup de temps à se mettre en place. Mes amis, ça fait trois ans qu’ils entendent parler du film de Joachim, ils n’en peuvent plus : »quoi? C’est pas encore sorti? » Moi, je suis là dès le tout départ, même avant l’arrivée des producteurs, donc oui, ça semble une éternité. Mais heureusement je ne fais pas que cela. Contrairement à un réalisateur comme Jaco Van Dormael qui a passé 12 ans sur Mr Nobody, un scénariste peut se consacrer à des choses très différentes à certains moments. Ça te permet de t’aérer. Parce qu’en Belgique, monter un film est une histoire de longue haleine, c’est très insécurisant. Chaque fois que j’y réfléchis, je me dis que j’ai vraiment choisi le métier qui me correspond le mieux.
Habitué de la Croisette depuis son enfance, Matthieu va, cette année, découvrir le festival de l’autre côté du miroir. Nous n’avons pas résisté au désir de lui demander de nous raconter son périple et plutôt qu’une interview quotidienne, cet homme de plume a proposé de rédiger pour Cinevox le journal quotidien de ses pérégrinations que vous suivrez donc à partir du 18 ou 19 mai jusqu’à la fin des festivités. En exclusivité.
Voilà qui promet d’être passionnant et très original.