Magritte du Cinéma, dixième, J-2! A quelques heures de l’évènement, et alors que les votes viennent d’être clôturés, petit tour de revue des forces en présence. Bien futé·e celui ou celle qui pourra prédire qui de Duelles, Le Jeune Ahmed, ou les outsiders Lola vers la mer et Nuestras Madres sortira vainqueur de cette 10e édition. Si 2019 et 2018 s’étaient distinguées avec de réels plébiscites pour Nos Batailles (5 prix) et Insyriated (6 prix), qui sait ce que nous réserve 2020?
Meilleur film, Meilleure réalisation, Meilleur scénario
On retrouve dans ces trois catégories les 4 mêmes films, Duelles, Le Jeune Ahmed, Lola vers la mer et Nuestras Madres, d’ailleurs également largement représentés dans les autres catégories, avec respectivement 10, 9, 7 et 6 nominations.
Sur le plan arithmétique, Olivier Masset-Depasse et les frères Dardenne mènent donc la danse. Ils la mènent aussi côté palmarès, puisque le premier a déjà figuré dans toutes ces catégories lors des premiers Magritte en 2011 pour Illégal, tandis que les seconds ont déjà remporté les prix du Meilleur film et de la Meilleure réalisation pour Deux jours une nuit en 2015. Les Dardenne ont par ailleurs remporté le Prix de la Mise en scène en mai dernier à Cannes, ce qui pourrait inspirer les votants… Notons néanmoins que Duelles a également été très apprécié des professionnels, notamment pour sa somptueuse direction artistique, et que le film est produit par Versus Production, dont c’est la 9e nomination dans la catégorie Meilleur film, que la société a déjà remporté 3 fois! Oui, on sait, on ne vous aide pas…
Mais ne balayons pas trop vite les chances des outsiders… Lola vers la mer bénéficie non seulement d’un gros capital de sympathie (voir d’ailleurs à cet égard les réponses de nos talents interrogés en fin d’année sur leurs coups de coeur cinéma en 2019), mais brille en plus de deux distinctions récentes, un prix au Ramdam, et surtout, une nomination aux César dans la catégorie Meilleur film étranger, aux côtés du Jeune Ahmed d’ailleurs. Une nomination de dernière minute (les votes pour les Magritte s’achevaient hier soir), qui aura pu changer la donne?
De son côté, le très beau Nuestras Madres de Cesar Dìaz pourrait pâtir de son ancrage géographique lointain (le film parle du génocide guatémaltèque), mais il est fort de l’aura de sa sélection cannoise à la Semaine de la critique, et surtout, de sa Caméra d’or. Sans compter que le film était le représentant officiel de la Belgique dans la course aux Oscars.
Last but not least, un cinquième film est en lice dans la catégorie reine du Meilleur film. Seule à mon mariage de Marta Bergman, premier film énergique et virevoltant (on vous dit tout le bien qu’on en pense ici) n’a peut-être que peu de chances de venir jouer les trouble-fête, mais il concourt également dans la catégorie Meilleur premier film, et notons-le au passage, il s’agit de la seule réalisatrice représentée dans la catégorie Meilleur film!
Acteurs et actrices…
Le duo artistique formé par Anne Coesens et Veerle Baetens est incontestablement au coeur de l’énergie narrative de Duelles. Leur relation fluctuante au fil du récit contribue grandement au suspense grandissant qui rythme le film. Autant dire que leur nomination l’une face à l’autre dans la catégorie Meilleur actrice constitue un casse-tête quasiment insoluble: comment désigner l’une plutôt que l’autre? Si cette double nomination salue justement leur performance, ce choix quasi fratricide pourrait néanmoins les éloigner l’une et l’autre du trophée.
D’autant que face à elles, on retrouve la championne toutes catégories Lubna Azabal, déjà trois fois primée aux Magritte, pour le Magritte de la Meilleure actrice dans un second rôle pour La Marche, mais aussi pour le Magritte de la Meilleure actrice en 2012 pour Incendies, et pas plus tard que l’année dernière pour Tueurs! Elle est en lice cette année pour son interprétation jubilatoire dans Tel Aviv on Fire d’une actrice plutôt… caractérielle. Héroïne d’une sitcom où elle incarne avec délectation une espionne palestinienne en pleine guerre des 6 jours, elle se montre tout aussi percutante sur le plateau qu’en dehors, où elle joue les divas flamboyantes.
Pour compléter le quatuor, on retrouve dans Un monde plus grand une autre valeur sûre, l’incontournable Cécile de France, en femme blessée terrassée par le deuil qui se découvre des pouvoir chamaniques, et réinvente complètement son rapport au monde et aux autres. Elle y est bouleversante, et cette 5e nomination sera peut-être enfin celle de la consécration, si l’Académie a pu voir le film.
Et chez les hommes? Bouli Lanners, nommé pour la 4e fois dans cette catégorie, qu’il n’a encore jamais remportée, pourrait bien faire office de favori, tant sa performance dans C’est ça l’amour a marqué les esprits. Il y interprète Mario, un homme fraichement quitté par sa femme et mère de ses deux filles, qui se retrouve assez désemparé quand il doit se réinventer en tant qu’homme, et en tant que père, en dehors des voies balisées de la masculinité traditionnelle.
Face à lui, le comédien flamand Kevin Janssens une performance très Actors Studio dans De Patrick. Habitué des rôles forts en testostérone, il a pris 17 kilos pour incarner ce grand garçon à première vue assez apathique. Mais sous la glace couve parfois le feu…
Dans un tout autre genre, Marc Zinga incarne avec densité le Sergent Xavier dans La Miséricorde de la Jungle de Joël Karekezi. Une performance intense, au coeur d’in environnement hostile, entre folie de la guerre et effondrement physique. Il pourrait peut-être créer la surprise.
Enfin, Benoît Poelvoorde est également en lice pour la 6e fois pour Le Grand Bain de Gilles Lellouche. Gageons néanmoins qu’étant donné qu’il s’agit d’un film choral, cela ne cadre peut-être pas avec l’idée du prix pour le Meilleur acteur.
Dans les autres catégories, on ne peut s’empêcher de souligner l’étrange mais tellement mignonne nominations dans les catégories Meilleur espoir féminin et masculin pour le film Binti de Bebel Baloji, 12 ans, et de son père, le musicien, réalisateur et comédien Baloji! Avouons qu’ils auraient fière allure au photocall avec leurs deux Magritte.
Difficile cependant là aussi de jouer les devins, puisque l’on retrouve dans ces deux catégories deux des héros d’Escapada de Sarah Hirtt, Raphaëlle Corbisier et François Neycken, qui pourraient bien porter les espoirs du film, ainsi que les deux jeunes découvertes du Jeune Ahmed, Idir Ben Addi, qui porte le film sur ses épaules, et Victoria Bluck, dans un rôle moins exposé.
Autre comédienne à porter un film sur ses épaules, Mya Bollaers, héroïne de Lola vers la mer, pourrait là aussi être portée par l’enthousiasme qui entoure le film depuis sa sortie. Dernier jeune comédien en lice, Jérémy Senez, le fils de Guillaume Senez, multi-primé l’année dernière pour Nos batailles. S’il excelle dans Trois jours et une vie, il pâtira peut-être du fait que le film n’a pas forcément été vu par une majorité de votants.
Côté seconds rôles, grosse présence également pour le casting des frères Dardenne, qui savent décidément s’y prendre pour aller chercher le meilleur chez leurs comédien·nes. On retrouve donc Othmane Moumen, Myriem Akheddiou et Claire Bodson. On notera que Bouli Lanners est nommé une deuxième fois pour son (petit) rôle dans De Patrick, face à deux habitués de la catégorie, Arieh Worthalter pour Duelles, et Jonathan Zaccaï pour Le Grand Bain. Chez les actrices, c’est le grand écart entre Stéphanie Crayencour, qui exploite à merveille son potentiel comique dans Emma Peeters, et Yolande Moreau, bouleversante en « bobonne » endeuillée dans Cleo.
Côté doc, coté court
Les quatre documentaires en lice cette année, tous réalisés par des femmes, portent un discours fort sur la condition des femmes (Sans frapper, Mon nom est clitoris, By the Name of Tania), et dans le cas de Bains publics notamment, des laissés pour compte. Quatre films forts, aux approches très différentes. Quatre propositions marquantes de cinéma, et quatre regards différents et éclairants sur le monde. On notera que la belle visibilité obtenue tout au long de sa carrière par By the Name of Tania, et ses nombreux prix en festival pourraient faire pencher la balance, puisqu’il faut vraiment choisir.
Côté courts de fiction, on peut difficilement faire plus éclectique. Détours de Christopher Yates offre un exercice de style dense et percutant, dans le genre thriller bien mené. Bruxelles-Beyrouth prend le large, et interroge le retour au pays d’un jeune homme plongé dans une situation qui le dépasse. Lucia en el limbo et Matriochkas offrent deux regards sur l’adolescence, à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, au Costa Rica et dans le Sud de la France. Deux jeunes filles en prise avec leur corps et leurs émois, et ce moment étrange où s’écrit la première page du reste de leur vie.
Côté animation, 4 propositions elles aussi aux antipodes, deux, ou plutôt trois habitués, Rémi Durin et Patar & Aubier, et deux nouveaux venus aux univers forts et surprenants, Lia Bertels et sa Nuit chérie, et Bruno Tondeur et Sous le cartilage les côtes. Patar & Aubier bénéficient d’un parcours quasi sans faute aux Magritte jusqu’ici, mais l’animation tendre et mélancolique de Grand Loup & Petit loup pourrait valoir à Rémi Durin son premier prix, et Lia Bertels et Bruno Tondeur ont su marquer les esprits avec leurs films cette année…
Et les autres prix?
On ne peut s’empêcher de penser que la direction artistique impeccable de Duelles devrait valoir de beaux trophées au film, même s’il est toujours difficile de se prononcer. La bande originale par exemple de Frédéric Vercheval fait partie intégrante de la construction du suspense, et épouse à merveille le labyrinthe émotionnel dans lequel s’égarent les héroïnes. C’est la 6e nomination pour le compositeur belge, qui pourrait enfin voir son travail récompensé. Mais il aura fort à faite face aux trois autres compositeurs nommés, Le Motel et sa musique urbaine et énergique pour Binti, Dan Klein et ses fulgurances rock pour Cavale, et le chevronné Raf Keunen, maître d’oeuvre pour Lola vers la mer.
A l’image, le travail d’Hichame Alaouie et là aussi époustouflant. Déjà deux fois primé, il pourrait à nouveau repartir avec une statuette, mais il faudra pour cela « battre » la redoutable Virginie Surdej, lauréat en 2018 pour son impressionnant travail sur Insyriated, en lice cette année pour sa partition saisissante sur Nuestras Madres, mais qui a aussi signé la superbe image de By the Name of Tania. Cette omniprésence pourrait la porter au sommet. Face à eux deux, Benoît Debie, chef opérateur star réclamé par les cinéastes du monde entier est en lice pour Les Frères Sisters. Nul n’est prophète en son pays, dit-on, et le fait qu’il soit en lice pour un film non-belge sera peut-être un frein pour lui.
Alors, on prend les paris? Résultat des courses samedi soir vers 23h!