L’Exercice de l’État
Rencontre avec Pierre Schoeller

Six mois après son passage très remarqué sur la Croisette cannoise, L’Exercice de l’État, coproduit en Belgique par les Films du Fleuve des frères Dardenne, sort enfin dans nos salles; une semaine après son arrivée sur les écrans français saluée par une presse unanime. Mais alors là, vraiment unanime: nous y reviendrons, naturellement.

De l’avis général, L’Exercice de l’État est le plus grand film politique de ces dix dernières années. De l’avis général, Pierre Schoeler son scénariste et réalisateur confirme qu’il est un des cinéastes contemporains à suivre en priorité. De l’avis général, les acteurs sont étourdissants. Olivier Gourmet en tête qui trouve ici un nouveau rôle tout en nuances, qu’il transcende et habite.

Lors du FiFF namurois où il a remporté le prix du meilleur scénario, Pierre Schoeler nous a parlé de son film, de ses attentes, de ses exigences, mais aussi (bien sûr), d’Olivier qu’il a choisi et qui l’a ébloui.

 

 

CNX –          Une question qu’on peut se poser après avoir vu le film est son effet sur le spectateur : sort-il de la salle avec une meilleure image de la politique? Ou pas

Pierre Shoeller –          Pour moi, L’Exercice de l’État est un travail de lucidité. Mon regard est un regard de tendre férocité. Le film ne répond pas à toutes les interrogations qu’il suggère. Certaines sont renvoyées aux spectateurs. Parmi elles, il y a même des interrogations d’ordre sensoriel : pourquoi ce type est-il habité de ce démon-là? Pourquoi se sent-il libre d’exprimer tout ce qu’il ressent? Pourquoi pense-t-on que la politique est une action solitaire alors que c’est une action collective?… En collant simplement à la chair de ce métier, aux sensations, on ne se cloisonne pas dans une réflexion, mais on pénètre dans un vertige et on ne devait pas en sortir. Jusqu’au moment où le film s’arrête en fait.

 

–          Votre gouvernement n’est pas marqué politiquement…

–          Vous avez raison: cela faisait partie de mes intuitions de départ. Je voulais que le spectateur ne soit pas pris dans un jeu de mémoire avec ce qu’il connaissait de la vie politique, qu’il soit un peu vierge. On ne pense pas à telle figure de gauche ou de droite. Je voulais lui proposer un contrat : on va dépouiller l’aspect idéologique, l’aspect politicien pour se concentrer sur la pratique, sur la question de la décision politique au sein de l’État.

 

–          Le film pose également la question du véritable pouvoir du politique face à tous les autres pouvoirs notamment le financier…

–          Oui, absolument. Et aussi de la relation avec le peuple l’électeur, le désamour qui secoue ces deux groupes, de notre rapport à eux. C’est le personnage de Cuypers (le chauffeur), toute la scène avec sa femme qui prend le ministre à partie, la présence de cette majorité supposée silencieuse dans différentes scènes heurtées. Ça m’intéresse beaucoup.

 

–          Cela dit L’Exercice de l’État n’est pas du tout un pensum.

–          Loin de là! Il s’agissait avant tout de faire un film de cinéma, d’être sur le spectaculaire, d’avoir un plaisir de comédien absolu.  Le choix d’Olivier Gourmet n’est pas du tout lié à la coprod. Le rôle était exigeant, très difficile. Ce n’est pas un rôle évident, ce n’est pas non plus un personnage indiscutablement taillé pour Olivier. Mais parmi les acteurs que nous avons vus, il s’est révélé le plus incroyable, le plus apte à plonger dans le rôle sans se perdre. Tout en restant humain à chaque moment. Il a une manière de mettre à chaque instant son humanité en évidence qui est assez sidérante. C’est un investissement de comédien remarquable.

 

–          Vous avez perçu ça où et comment?

–          Par la rencontre, par son équilibre, aussi. C’est l’inverse d’un comédien narcissique, Olivier. Il a la passion du jeu. Ce rôle est un rôle de maturité: impossible de prendre un jeune homme. Il fallait opter pour des acteurs bien avancés dans leur carrière et leur vie: même pour les personnages du dir cab’ (Michel Blanc) ou de la responsable de communication (Zabou Breitman). À ce moment, on sélectionne également des acteurs qui sont dans la plénitude de leur âge et de leurs moyens.

 

–          Vous avez choisi Olivier en premier? Est-ce aussi une question d’interaction?

–          Ça se cristallise. La figure du ministre était évidemment fondamentale. Mais il y avait d’autres figures à choisir face à lui. Un casting est une longue période de recherche. Le but est d’arriver à une cristallisation des figures. Au bout du compte, le choix de chacun me paraissait le plus juste, mais je ne les ai pas confrontés avant le tournage. Il y avait un pari. J’étais tellement convaincu de la pertinence de mes choix pour les rôles du ministre et de son directeur de cabinet que je savais allait grandir sur eux. Et c’est ce qu’il s’est passé. Ce n’est pas mal de ne pas connaître parfaitement les acteurs avec qui sont devant vous. Sur le plateau, on apprend ainsi à s’apprécier au jour le jour et on les aime de plus en plus en fait.

 

L’amour des comédiens, l’amour du cinéma, l’amour du travail parfaitement exécuté… Tout cela se sent dans L’Exercice de l’État. Conçu comme un thriller, trépidant dans ses joutes verbales, mais aussi dans son montage, ce grand film politique s’impose comme un des sommets de l’année: tout genre et nationalité confondus.

 

 

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