Les Monologues du Gourmet (2)
Le verbe, le corps, le jeu

On vous l’a déjà dit : discuter avec Olivier Gourmet est un plaisir rare. Parce qu’éludant les réponses formatées, habituellement associées à la promotion d’un film, il réfléchit, analyse, propose. Du coup, les questions intermédiaires n’ont quasi plus d’intérêt, sinon, éventuellement de relancer la conversation sur un sujet précis plutôt qu’un autre. C’est pourquoi nous avons choisi de présenter cette rencontre avec Olivier sous forme de monologue. Un monologue en deux parties.

 

La première que vous pouvez lire ICI est particulièrement centrée sur L’Exercice de l’État qu’Oliver défend depuis quelques semaines en festival, dans les radios, sur les plateaux de télé… Pour ce second volet, le long métrage de Pierre Schoëller sert naturellement de trame, mais nous avons surtout écouté Olivier nous parler du jeu, du corps et du verbe, de l’interaction entre les acteurs, de sa vision du cinéma, de son métier et de ses exigences artistiques.

 

 » L’Exercice de l’État est un film qui parle beaucoup. Or, moi, je déteste les scénarios bavards. Ici, bien sûr, les mots sont nécessaires et il y en a beaucoup. Mais pas un de trop : la politique, c’est la parole, c’est la communication. Pierre voulait aussi qu’il y ait un rythme soutenu et des humeurs variées. Le débit devait donc être rapide malgré la difficulté du texte. Du coup, il était impératif de s’approprier le verbe. Totalement. Pour être à l’aise, très à l’aise, pour ne jamais être obligé de chercher ses mots. Il y avait pour moi un défi à relever, un gros travail en amont, plusieurs semaines avant, puis au quotidien et chaque dimanche quand on ne tournait pas. À ce moment, je reprenais les dialogues à venir pour les relire et les redire encore et encore, pour me les mettre en bouche jusqu’à les oublier pour qu’ils sortent tout seul.

 

[Robert Mitchum est mort]

 

Avant d’entrer sur le plateau, je n’essaie jamais de donner des couleurs, des rythmes ou des intentions. L’objectif pour moi est qu’ils se transforment en prière, en litanie: ces mots s’échappent sans que je pense même à leur sens. C’est indispensable pour moi, pour être très à l’aise ensuite, pour pouvoir en faire ce que je veux au moment où je suis filmé : pouvoir arrêter, enchaîner, amener la colère sur une phrase…

Pour certains personnages, certains longs métrages, je procède autrement: j’apprends les tirades, mais plutôt dans les grandes lignes, juste ce qu’il est nécessaire. Alors, au moment de tourner, je vais le rechercher et le reconstruire. Mais là, les exigences étaient très différentes: le texte devait être connu au cordeau.

 

[Mon Colonel]

 

Quand on joue, les émotions vous font perdre le fil. Ce n’est naturellement qu’en se confrontant à la réalité du plateau qu’on découvre ce genre de choses. Dans la vie aussi, on peut perdre ses moyens, balbutier, mais on continue sans que ça paraisse étrange. Au cinéma, il faut que les répliques soient cinglantes sinon, en général, la prise est fichue. Dans un film comme celui-ci, je m’obligeais à respecter scrupuleusement ce qui était écrit dans le scénario.

 

Mais je ne peux pas me contenter de ça. Je suis un acteur instinctif.  Je ne conçois pas qu’on puisse dire des mots sans qu’ils transitent d’abord par le corps. Dans la vie, quand on prend la parole, c’est parce que quelque chose nous a émus ou choqués. Mais, de toute façon, avant qu’une phrase sorte de votre bouche, quelque chose se passe dans le corps, que ce soit le cerveau ou les tripes.

Dans l’Exercice de l’État, les personnages sont constamment dans une action, dans quelque chose de physique.  C’est pour cela que j’ai pu impulser à St Jean ce que vous appelez une « animalité », une force motrice. Qui d’une certaine manière était déjà présente dans le scénario, car Pierre recherchait ce mouvement.

 

J’ai en tête des exemples très précis comme cette réunion animée où, soudain, le ministre qui mange une pizza, s’étrangle. On aurait pu faire sans cet incident, mais  ce sont des détails tels que ceux-ci qui contribuent à donner du souffle à une scène. Du coup, on sent que St Jean existe, qu’il est dans la vie, qu’il n’est pas qu’une icône. La discussion bifurque. On a une impression très forte de réalité.

Dans une autre scène, tout en parlant, mon personnage se lève et va prendre ses chaussures, il change de chemise sans s’arrêter de répondre aux questions. Ces  notations vous aident évidemment à être physique. Dans de nombreux films, ce genre de considérations ne sont pas prévues dans le scénario. Parfois, vous devez rester assis, sans bouger et c’est très compliqué d’insuffler de la vitalité au rôle. Dans ce cas, j’essaie d’amener le petit plus qui fait la différence, mais c’est alors un gros travail personnel.

 

[Le Fils]

 

Pourtant, j’ai besoin de ça, c’est ma façon d’être, d’exister d’abord avec le corps. Je suis très impressionné par tout ce qu’un corps peut dire sans avoir recours à la parole, impressionné par les images, les photos de visages expressifs. Une nuque peut dire beaucoup…

 

J’ai toujours dit aux frères Dardenne que je voudrais faire un spectacle de théâtre tout de dos parce qu’on peut vivre de dos et raconter une histoire avec le dos. Ce n’est pas pour cela qu’ils ont fait Le Fils, mais bon, voilà, ils me connaissent et ils ont écrit le rôle pour moi. Donc, naturellement, ils ont tenu compte de mon caractère. Quoique, dans leur film, cette volonté de cadrer une nuque a une  origine différente : il est question de la conscience du personnage.

N’empêche : jouer avec le corps est ma marque de fabrique. Les frères le savent et Pierre Schoeller s’en est aussi aperçu en regardant mes prestations à l’écran. S’il m’a demandé d’interpréter St Jean, c’est pour cela.

 

[Sauf le Respect que je vous dois]

 

Là, je ne parle que de moi, de ma façon d’être, mais ensuite vient l’interaction avec les autres acteurs, la petite musique des dialogues, notre manière de communiquer. C’est pour cela que je n’essaie jamais d’anticiper une tonalité: il faut d’abord voir ce que celui qui est en face vous offre. Une conversation se construit ensemble. Vous donnez une première impulsion et vous voyez ce que votre partenaire en fait, comment il y répond. Pouvez-vous enchaîner à ce qu’il propose? Vous pouvez commencer trop agressivement. Alors l’autre se ferme et vous sentez immédiatement qu’il est impossible de poursuivre. Du coup, on descend l’humeur ou on la change. L’adaptation inévitable, c’est cela le respect de l’un l’autre.

 

Les premières leçons d’un acteur, je pense, c’est écouter, regarder, réagir. Comme dans la vie. Si quelqu’un vous interpelle, vous le regardez, vous écoutez. Et puis, seulement vous réagissez. Quand on est comédien, c’est plus compliqué : on sait déjà ce qu’on va répondre. On a donc tendance à anticiper son émotion et son humeur. Mais ce n’est pas juste. L’humeur doit naître de ce que l’autre vous dit: si votre partenaire ne vous donne pas la matière pour être en colère, et que vous vous emportez parce que c’est ainsi que vous avez perçu le scénario ou, simplement, parce que c’est ce qui est écrit dans le texte: alors vous êtes faux. Du coup, évidemment, il faut pouvoir discuter avec son partenaire et le réalisateur, tenter des variations et voir ce qui est le plus adapté ou efficace.

Sur L’Exercice de l’État, c’est comme cela que se passaient les choses. J’avais déjà croisé Zabou, mais pas les autres acteurs. Ni Pierre. Pourtant, l’alchimie a parfaitement fonctionné.

 

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