« Le Paradis », fugue amoureuse

Le Paradis, premier long métrage de Zeno Graton, poème d’amour et histoire d’émancipation et de désir sort cette semaine en Belgique.

« Si un poisson est pris dans la glace, il ne ressuscite pas. Il meurt. » Dans L’Attrape-coeurs, le jeune héros se demande où vont les canards de Central Park l’hiver quand l’eau est gelée. C’est la voix de Joe, sorte d’Holden Caulfield moderne rattrapé par ses sentiments qui nous embarque au début du Paradis, s’interrogeant sur le sort de ces poissons qui ressemblaient à une famille, mais dont le coeur a arrêté de battre. Celui de Joe lui bat à tout rompre. Placé dans une maison d’arrêt pour mineurs, il avance jour après jour, comme perdu dans une mer d’uniformes, tour à tour anesthésié par la répétition des tâches quotidiennes et exalté par sa soif de liberté. Tellement exalté même qu’il fugue, encore une fois, alors que la liberté se profile à l’aube de sa majorité. Joe navigue tant bien que mal l’océan agité de ses émotions, jusqu’à ce que débarque un nouveau. Avec William, le coup de foudre est immédiat, une vraie onde de choc. Joe marche sur un fil, une deuxième chance s’offre à lui, mais laquelle? La liberté, ou le désir? C’est la question que pose Le Paradis, premier long métrage de Zeno Graton, découvert à la Berlinale.

Joe et William sont terrassés par la passion, surpris de s’être laissés prendre quand l’amour surgit là où l’on ne l’attendait pas, mais incapables de résister à ces pulsions de vie plus grandes qu’eux. La liberté qui attend Joe, c’est un paradoxe, comme le constate sa juge d’application des peines, car elle est aussi un renoncement.

Zeno Graton fait le choix audacieux et inspiré de précipiter une passion amoureuse au coeur d’un lieu qui pourrait y être hostile, mais où finalement les plus grands obstacles à cette passion revêtent une complexité inattendue. Ce n’est pas tant le monde extérieur qui s’y oppose, que le temps lui-même, l’impossible patience requise pour y laisser libre cours. Alors Joe et William vont laisser leurs coeurs et leurs corps s’embraser, quitte à y perdre un peu de liberté.

C’est une histoire d’amour et de désir assez simple finalement, portée par ses deux jeunes interprètes, Khalil Gharbia (voir notre interview) et Julien de Saint Jean, stupéfiants de grâce et d’intensité. A leurs côtés, un beau casting de jeunes comédiens belges, parmi lesquels Amine Hamidou, Nlandu Lubansu ou Samuel Di Napoli.

Tous sont magnifiés par le travail à l’image d’Olivier Boonjing, qui culmine dans les très belles scènes où les jeunes du centre découvrent l’art de la camera obscura. Différentes pratiques artistiques viennent d’ailleurs ponctuer le récit, offrant quelques moments suspendus, lorsque William dessine à l’encre noire, sur les murs ou sur la peau de Joe, quand ce dernier aussi se laisse emporter par la musique (magnifique bande originale en passant du musicien franco-libanais Bachar Mar-Khalifé).

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