Avec Le cours de la vie, son nouveau long métrage, Frédéric Sojcher nous invite à appréhender la vie comme un film, et le cinéma comme la vie.
On n’oublie jamais un amour. Scénariste réputée dont la carrière est couronnée de succès, Noémie répond positivement à l’invitation du directeur de l’Ecole Nationale Supérieure de l’Audiovisuel de Toulouse de venir donner une masterclass aux étudiant·es de dernière année. Un honneur pour l’autrice, certainement, une responsabilité également, mais aussi, et peut-être surtout, une opportunité discrète de reprendre en cours de route une histoire inachevée, celle qu’elle avait commencé à écrire quelques 30 ans plus tôt.
Car le directeur de l’école, dans le civil, c’est aussi Vincent, le premier grand amour de Noémie. Celui qu’elle a aimé follement, et avec qui elle a entamé son autre histoire d’amour, avec le cinéma. Compagnons d’armes sur les bancs de l’école, leurs chemins personnels et professionnels ont bifurqué. Le temps d’une longue journée de printemps où tous les espoirs sont possibles, où les sentiments ne demandent qu’à renaître et les romances à fleurir, Noémie tourne autour de Vincent, qui cherche dans un premier temps à l’éviter, mais ne peut résister à la résurgence des sentiments enfouis.
Aux étudiant·es, Noémie va parler cinéma, et écriture, elle va les inviter à connaître profondément, voire viscéralement leurs personnages, à inventer leur vie, même si au final ils ne font que passer, le temps d’un film. Loin d’être un cours magistral un peu pompeux et ampoulé, l’intervention de Noémie est avant tout un échange, un dialogue aux multiples voix où chacun·e partage ses questionnements sur les films, et sur le monde. Elle invoque la formule magique de la fiction, passeport pour l’imagination: « Et si? » Parce qu’avec des si, tout est possible, même faire rejaillir la complicité entre de vieux amants fâchés.
Ce dispositif très meta repose sur un postulat limpide: le cinéma, c’est la vie, et la vie, c’est du cinéma. C’est érudit, certes, mais pas abscons. La réalité et la fiction entament un pas de deux nostalgique, et le cours dispensé par Noémie semble reprendre là où s’était arrêtée la lettre de rupture envoyée à Vincent. Car si Vincent comme Noémie ont refait leur vie, leur histoire continue de les hanter, et Noémie semble presque malgré elle revisiter son passé à travers cette masterclass avec laquelle entrent en résonance les petits jeux de l’amour et du hasard de ses élèves, qui badinent sur les bancs et dans la cour.
Finalement, est-ce que le cinéma, qu’on l’écrive ou qu’on le voit, ne serait pas aussi un moyen de mettre à distance nos conflits internes ou externes pour mieux les décortiquer, parfois leur donner sens? Pour Noémie et Vincent, ne serait-il pas aussi une façon pudique d’adresser leurs sentiments? Si leurs corps semblent maladroits et empêchés, leurs coeurs résonnent encore au diapason. Et ces retrouvailles sur les bancs de l’école, ce retour dans le passé fugace et chargé, leur permettra peut-être de faire la paix avec leurs souvenirs. Pour les incarner, il fallait évidemment deux comédien·nes qui épousent la complexité de cette histoire d’amour contrariée et jamais soldée, ce que font avec talent Agnès Jaoui et Jonathan Zaccai.
Le Cours de la vie, par son dispositif simple, servi par l’unité de lieu et de temps, et sa situation, figure aussi la transmission, et désigne le cinéma comme potentielle école de la vie. Il nous présente les profs et les élèves, dont les rôles d’ailleurs s’inversent à l’occasion lors de discussions animées, et nous figure même nous, public, à travers le rôle de la régisseuse de l’école (finement interprétée par Géraldine Nakache), qui observe à distance la scène qui se déroule sous ses yeux, planquée dans la salle de projection. La figure de la lettre d’amour est fondamentale dans le film, dont on peut se demander si ce n’est pas qu’il est lui aussi, une lettre d’amour au cinéma, et à sa puissance cathartique.