A l’occasion de la grande exposition et de la rétrospective Chantal Akerman organisées par Bozar et la Cinematek, le cinéma Palace ressort Golden Eighties, pépite pop de la réalisatrice, et propose une exposition des photos de plateau signées par Jean Ber.
En 1986 sort Golden Eighties, une comédie musicale signée Chantal Akerman. Ce n’est certes pas une contradiction dans les faits, d’autant que l’on se souvient de la place des chansons déjà dans Toute une nuit ou Les Rendez-vous d’Anna, mais c’est une surprise. Surprise d’autant plus grande que le film se déroule presque exclusivement dans un centre commercial, celui de la Galerie de la Toison d’Or, entre un magasin de vêtements, un salon de coiffure, un petit bar – et même un cinéma. On est donc au coeur de la société de consommation, mais une société de consommation souterraine, littéralement enterrée, puisque la galerie est au sous-sol, il faut descendre une longue volée de marches pour s’y rendre. Les personnages d’ailleurs de font pas secret de la crise qui leur est tombée dessus. Le chômage, les soucis pécuniaires, les charges qui augmentent, la difficulté de payer son loyer. La crise s’enlise.
Alors faute de savoir de quoi demain sera fait, ce qui occupe les personnages, c’est la possibilité (l’impossibilité?) de l’amour. Ca papillonne sous terre, ça marivaude, ça volète de coeur en coeur. Pascale et Mado aiment Richard qui lui n’a d’yeux que pour Lili qui elle entretient sa relation avec Jean, homme marié mais bien mis, quand Sylvie attend patiemment son amant parti gagner sa vie outre-Atlantique, des Amériques d’où surgit Eli, qui toute sa vie a aimé Jeanne, qui a toujours cru que l’amour n’était pas pour elle. Coups de foudre et coeurs brisés, l’amour se propage comme « une fièvre tropicale ». Parce que le coeur, il faut qu’il aime. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre. L’amour n’est jamais perdu. Parce que sans amour, c’est la fin.
Ces atermoiements amoureux incessants sont orchestrés au sein d’une comédie musicale conçue comme un précipité d’esthétique pop, d’une absolue légèreté, radicalement revendiquée. Alors que les protagonistes n’en finissent plus de sentir leurs coeurs battre en tous sens, sans cesse interrompus par les clientes jamais contentes, le choeur des shampouineuses et celui des piliers de bar commentent l’action, entre poésie moqueuse et aphorismes définitifs.
A première vue inattendu, ou disruptif dans la filmographie de Chantal Akerman, Golden Eighties creuse pourtant ses obsessions, aussi bien formelles que thématiques. On y retrouve des motifs forts de son cinéma, à commencer par la répétition, ainsi que de grands questionnements qui traversent son oeuvre, l’impossibilité de l’amour, la difficulté de faire famille, le retour des camps aussi. Au casting, on retrouve Delphine Seyrig, déchirante icone qui porte le poids des rescapées, mais aussi Fanny Cottençon, Myriam Boyer, ou Lio, idole de la pop qui trouve là son premier rôle.
Jean Ber, photographe de plateau, a été le témoin de cette escapade cinématographique. Ses clichés sont exposés par le Palace. Ils restituent l’esprit du film, la vision de la cinéaste, cette symphonie pop, rythmée de couleurs éclatantes. Dans une scénographie dynamique qui rappelle les décors joyeux et engageants imaginés en studio, la collection permet une précieuse immersion dans le présent du film, à part dans l’oeuvre d’Akerman tout en y étant profondément inscrit.
L’exposition est visible jusqu’au 23 juin prochain, l’entrée est libre. Le film sera programmé dès mercredi prochain.