La question du titre est directe et la réponse théorique est « oui évidemment ».
Au regard du contexte et des rumeurs, la réponse plus prosaïque est « non, sans doute pas ».
Cette interrogation induit aussi une vérité que beaucoup de gens, même les cinéphiles, ignorent sans doute: jamais Disney n’a remporté un Oscar qu’on croirait pourtant taillé pour lui.
Il faut évidemment relativiser la nouvelle en précisant que l’Oscar du meilleur film d’animation n’a été créé qu’en… 2002. Au départ, on lui a d’ailleurs assorti des conditions drastiques : la statuette ne pouvait être décernée que si huit longs métrages d’animation, au moins, étaient sortis en salles au cours de l’année précédente. Quand plus de quinze films sont éligibles dans la catégorie, les nominations sont au nombre de cinq. Dans le cas contraire, seuls trois films sont mis en évidence.
Cette naissance tardive et ces restrictions s’expliquent facilement: jusqu’au milieu des années 90, on produisait trop peu de films d’animation pour les confronter dans une quelconque compétition. Or, l’approche du nouveau millénaire marque l’avènement du numérique en matière d’animation : les délais de production et leurs coûts sont terriblement réduits et on peut désormais envisager de réaliser des films d’animation susceptibles de sortir en salles à grande échelle en dehors du giron de Disney ou de la Warner. Même les studios indépendants de moyenne importance peuvent tenter l’aventure. Avant les années 1990, Disney aurait forcément dominé la compétition de la tête et des épaules avec son blockbuster annuel.
QUAND OSCAR RIME AVEC PIXAR
Toy Story, le premier long métrage de Pixar est sorti en 1995. Une révolution (photo ci-dessus). La première réponse des studios Dreamworks date, elle, de 98. Il s’agissait de Fourmiz en compétition frontale avec le 1001 pattes de son concurrent. En 2000, les studios Aardman passaient au long métrage avec une animation image par image délirante (Chicken run). De plus en plus de grands studios se passionnèrent soudain pour le genre : Warner, depuis longtemps présent sur ce créneau, intensifia sa production à l’aube de ce nouveau millénaire (Le géant de Fer, Poucelina, puis Le Pôle express, Les Noces Funèbres, Lucas, fourmi malgré lui…) et Sony se lança dans la bataille en 2006 avec Les rebelles de la Forêt.
Parallèlement, les États-Unis découvraient aussi l’œuvre de Hayao Miyasaki, actif dans son pays depuis 1978 (Le Château de Cagliostro).
Avec ce développement des productions d’animation sur le territoire américain et l’arrivée de nombreux artistes étrangers, la création d’un Oscar spécifique devenait légitime. Mieux : elle s’imposait comme une nécessité.
Shrek d’Andrew Adamson et Vicky Jenson remporta le premier trophée de la série au nez et à la barbe de Pixar avec Monstres et compagnie. Il faut préciser qu’en 2001, Steven Spielberg oblige, le Géant vert avait carrément été présenté en compétition au Festival de Cannes.
Il faudra patienter jusqu’en 2004 pour voir Pixar décocher son premier Oscar. Le premier de… sept : Sept sur douze, voilà un score peu banal.
En 2004, c’est donc Le Monde de Nemo qui s’impose avant Les Indestructibles (2005), Ratatouille (2008), Wall-E (2009), Là-Haut (2010), Toy Story 3 (2011) et Rebel en 2013.
Un sacré tir groupé qui ne laisse que des miettes à la concurrence : Le Voyage de Chihiro (Sen to Chihiro no Kamikakushi) de Hayao Miyazaki en 2003 (photo), Wallace et Gromit : Le Mystère du lapin-garou de Nick Park et Steve Box en 2006, l’inattendu Happy Feet de George Miller en 2007 qui musela Cars et Rango de Gore Verbinski en 2012.
Et donc, vous l’avez noté : pas la moindre trace d’un long métrage signé Disney dans ce palmarès.
Cela dit, Disney n’est pas pour autant le pestiféré de la cérémonie: la compagnie a remporté à 12 reprises l’Oscar du meilleur court métrage d’animation entre 1932 et 1969, plus six Oscars du meilleur court métrage de fiction, deux Oscars du meilleur court métrage documentaire, deux Oscars du meilleur documentaire et trois Oscars d’Honneur pour la naissance de Mickey Mouse, pour Blanche Neige et pour Fantasia.
On ne s’étonnera donc pas que, cette année, Frozen/La Princesse de Glace est donné favori de la catégorie. Le film a d’ailleurs fait un carton à travers le monde devenant la deuxième meilleure recette de tous les temps pour l’oncle Walt derrière Le Roi Lion, mais juste devant Raiponce.
Face à Frozen, on retrouve deux autres films américains (Les Croods et Moi, Moche et Méchant 2) ainsi que le maestro japonais Hayao Miyazaki avec Le vent se lève (Kaze tachinu).
Récompensé en 2003, Miyazaki a également été nommé en 2006 avec Le Château ambulant (Hauru no Ugoku Shiro). Comme il a annoncé vouloir se retirer du métier, il n’est pas impossible que les professionnels américains tiennent à lui rendre un ultime hommage.
ERNEST ET CELESTINE
Dans ce quintet haut de gamme, quelles sont les chances d’Ernest et Célestine? Elles sont maigres sur le papier. Face à trois ténors du box-office ricain et à celle du maître japonais, sa nomination est déjà une formidable victoire.
Le nombre de films « atypiques » présent dans cette catégorie est restreint : outre les deux longs métrages de Miyasaki, on pourra épingler Les Triplettes de Belleville de Sylvain Chomet en 2004, Persepolis de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi en 2008, Brendan et le secret de Kells (The Secret of Kells) en 2010, L’Illusionniste de Sylvain Chomet en 2011, Chico et Rita (Chico and Rita) de Fernando Trueba et Javier Mariscalet ainsi qu’Une vie de chat de Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli en 2012.
C’est tout. C’est peu. Mais c’est assez logique: il s’agit de films imaginés hors du giron américain qui se hissent là dans une catégorie ouverte aux productions américaines; contrairement à la plupart des films nommés dans la section Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Chez nous, Ernest et Célestine s’est naturellement déjà distingué à plusieurs reprises.
En 2013, le long métrage a décroché le César du meilleur film d’animation. Une belle joie partagée par Stéphane Aubier, Vincent Patar et le Français Benjamin Renner, initiateur du projet.
Presque un an plus tard, le conte adapté de l’écrivaine belge Gabrielle Vincent et coproduit par La Parti (C’est arrivé près de chez vous, Kill Me Please, Panique au Village), fut le tout premier film d’animation à remporter les deux principaux Magritte de l’année: ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur (des meilleurs réalisateurs).
Ernest et Célestine a également gagné le trophée du meilleur son.
En 2011, le long métrage Panique au Village, réalisé par le duo infernal, avait déjà récolté deux Magritte techniques : ceux du meilleur son et du meilleur décor.
Car oui, Stéphane Aubier et Vincent Patar sont des figures légendaires du cinéma belge, des trublions qui œuvrent dans un créneau que peu leur disputent : l’animation sous toutes ses formes. Des plus classiques aux plus dingues ! Jusqu’ici, ils étaient connus pour leurs délirants Pic Pic André et Panique au Village, potaches et iconoclastes, hilarants.
Que ce soit dans le dessin stylisé ou l’animation image par image de figurines en plastique, l’inséparable duo excelle dans l’art de ne pas faire comme tout le monde.
Vous le savez sûrement: Ernest et Célestine se situe aux antipodes de l’univers déjanté, quasi punk dans l’esprit, généralement associé à ses papas qui ont ici prêté leur talent à un film d’animation classique, presque artisanal, et d’une infinie tendresse.
Avec son dessin crayonné et ses couleurs délicates, il est parvenu à fédérer un public très large, des jeunes enfants aux parents les plus blasés, grâce à de multiples niveaux de lecture et à l’universalité de son propos.
En France et en Belgique, Il a été vu par plus d’un million de spectateurs !
Pour sa version internationale (bande-annonce ICI), le conte qui noue son intrigue autour de l’amitié incongrue d’un ours et d’une souris jouit d’un casting vocal en or puisque Forest Whitaker, Mackenzie Foy, Lauren Bacall et Paul Giamatti sont de la partie. Sera-ce suffisant pour briguer un Oscar à Hollywood?
Autre raison de pousser un énorme cocorico wallon : Digital Graphics, société basée à Alleur enregistre grâce à Ernest et Célestine sa troisième nomination aux Oscars. La société des très sympathiques frères Umé était déjà de l’Aventure Brendan et réalisa les effets spéciaux de Dood van een schaduw, le court métrage de Tom Van Avermaet avec Matthias Schoenaerts, retenu l’an dernier. Un cas unique dans les annales belges et qui risque de ne pas être égalé avant longtemps.