C’est l’histoire d’un homme qui parle. Pour ne pas mourir. Mais surtout pour exister. Enfin.
Un homme enfermé dans une prison fantomatique au milieu de nulle part, dans un endroit un peu abstrait et très inquiétant, à une époque indéterminée. Mais qui ressemble à la nôtre.
Une époque où le cynisme politique n’a pas de bornes. Une époque où les médias dictent leurs goûts et leurs idées au public. Une époque où chacun se côtoie, veillant à ses seuls intérêts.
Cet homme, la société l’a condamné à mort. Sa seule échappatoire est un vide juridique qui ne lui impose aucune limite de temps pour ses ultimes confessions.
C’est aussi l’histoire d’un type qui ne se cherche pas d’excuses, mais qui n’a pas eu beaucoup de chance dans la vie. Un homme trop impétueux, capable du pire. Un homme violent et qui a priori n’a rien pour nous émouvoir. Un homme qui, néanmoins, nous fait fondre en larmes.
Ce tour de force n’est pas la moindre prouesse de Dead Man Talking, premier long métrage de Patrick Ridremont qui a mûri ce film pendant quinze ans, l’a réécrit des dizaines de fois, l’a mis en scène et y joue le rôle principal. Pourtant, au final, on a affaire à une œuvre presque chorale, car l’auteur s’est totalement mis au service de son propos. Jamais il ne tire à lui la couverture.
Tous les personnages qu’on croise dans cette invraisemblable prison ont, en effet, une personnalité marquante, des secrets aussi. Beaucoup de secrets. Des secrets souvent douloureux.
Et ils sont incarnés par des comédiens tous exceptionnels. François Berléand est stupéfiant en type aigri qui a perdu son humanité, (très) caustique, mais (très) touchant, constamment au bord du gouffre. Denis MPunga (ci-contre) qu’on connaissait peu est une des grandes révélations du film. L’imperturbable gardien est attachant et en une seule scène épique il nous retourne les tripes. Lors de l’avant-première bruxelloise, son nom a été accueilli par une ovation incroyable à l’issue de la projection. Un signe qui ne trompe pas.
Jean-Claude Dubiez, le gardien boulimique, l’irrésistible Linda Woodhall infirmière sourdingue, l’angélique Pauline Burlet, incarnation moderne du Petit Chaperon rouge, et le très mystérieux Daniel Dietenbeck enrichissent tous cet univers carcéral. Comme Christian Marin, aumônier à la retraite, qui signe ici une ultime apparition éblouissante. Il est hilarant, mais il est surtout formidablement émouvant avec une concision de jeu qui nous fait regretter de ne pas l’avoir vu davantage ces dernières années. Savoir qu’il ait pu découvrir ce film avant de nous quitter est un vrai réconfort.
Face à ces personnages qui se confrontent en vase clos, l’équipe qui gravite autour du gouverneur Brodeck évolue sur un tout autre registre : Stieg Brodeck, qui ne pense qu’à sa réélection (mal engagée) est le prototype du politicien crétin et avide, un cliché oui, mais transcendé par un intenable Jean-Luc Couchard qui touche là un de ses rêves: offrir une prestation De Funesienne qui n’a rien à envier à son maître (ici dans une séquence qui évoque furieusement Le Petit Baigneur).
Sa garde rapprochée n’est pas en reste: pète-sec, glaciale et sans morale, Virginie Efira transforme une assistante machiavélique en éminence grise doublée d’une salope glaciale. Avec un charme fou, bien sûr. Olivier Leborgne, en servile conseiller (particulier), prend un malin plaisir à jouer les souffre-douleur compatissants qui n’a pas peur des déguisements les plus outrageants. Pièce rapportée, allié de circonstance et véritable quatrième membre de la team, Didier Ferrari incarne un producteur de télé réalité qui ne recule devant rien pour faire grimper l’audience. Un rôle en or, tranchant et cynique (« appelez-moi God »).
Autour de ce casting saisissant, avec lui surtout, Patrick Ridremont qui campe un mort en sursis totalement déchirant, d’une totale sobriété, a inventé un monde décalé, esthétiquement hallucinant. À la façon des frères Coen (du début) il excelle à mettre en place un univers très ligne claire et joue des clichés pour affoler la mécanique du récit.
Mais la grande force du film, son pouvoir de fascination ultime, c’est bien sûr cette aisance très troublante à jongler avec les climats et les sentiments. Alors que le public s’attend à déguster une comédie, on plonge d’emblée dans un environnement étrange et inquiétant qui vire au glauque. La tension s’installe jusqu’à ce que quelques mimiques de Berléand viennent la contraster. Progressivement, le ton change, soudain les répliques cinglantes fusent et voilà qu’on bascule d’un coup dans un univers improbable, délirant, absolument inattendu. La salle est pliée en deux… Mais pas pour longtemps. Car c’est parti pour une invraisemblable séance de roller-coaster qui culminera dans une séquence d’une incroyable émotion, qu’une seule remarque déjà culte fait voler en éclats (de rire) avant que les larmes coulent sur les joues. Pour de bon.
Vous l’avez compris : on n’aime pas Dead Man Talking. On adore cet OVNI totalement maîtrisé qui fascinera à la fois les cinéphiles et le grand public, jusqu’aux plus jeunes (testé et approuvé).
Car c’est la très bonne nouvelle du jour : vous aussi, vous allez adorer ! Faites-vous plaisir: votez Dead Man Talking!