D’autres hommes, d’autres dieux.

Pour l’instant, le cinéma n’épargne pas l’institution religieuse. Les sorties presque simultanées du téléfilm Le Silence des Églises en télé et du sulfureux Au nom du Fils de Vincent Lannoo, bientôt dans les salles n’ont pas fini de remuer les estomacs. Cette semaine, nous arrive par contre Elefante Blanco qui montre un tout autre visage de la religion: celui de l’engagement au service des opprimés, celui d’individus formidables qui cherchent à rendre la vie de leur semblable un peu moins pénible sans jugement, sans réserve.

 

 

Pour le fond et cette dévotion sans faille, Elefante Blanco évoque bien sûr Des Hommes et des Dieux, le métaphysique succès-surprise de 2010. Mais alors que Xavier Beauvois misait sur la solennité, le silence et le recueillement, Pablo Tapero nous plonge dans un tourbillon de misère, de cris, de fureur et de violence qui nous brinquebale sans ménagement dans les tréfonds d’un enfer qui n’a rien d’imaginaire.

 

 

Cet enfer, c’est Le « bidonville de la Vierge » dans la banlieue de Buenos Aires. Julian y amène son jeune ami Nicolas, mal en point et en proie à une crise existentielle après avoir vu les habitants d’un village qu’il tentait d’aider en pleine jungle se faire massacrer par un groupe paramilitaire. A deux pas de la capitale, c’est une autre horreur que le jeune européen découvre : un amas de taules, de détritus et de boue au cœur de laquelle deux cartels s’opposent régner sur le commerce de la drogue. Au centre du bidonville trône l’Eléphant Blanc, un immense bâtiment inachevé qui aurait dû devenir le plus grand hôpital d’Amérique du Sud et ne fut jamais terminé faute de crédits et d’envie de la part d’un pouvoir peu motivé à l’idée de sortir ces milliers de personnes de leur misère. Dans cette poudrière, n’importe quel évènement peut déclencher d’incroyables explosions de violence. La mort peut surgir sans prévenir à chaque seconde.

 

Pendant les 13 minutes (!) qui précèdent l’apparition du titre, Pablo Tapero et Guillermon Nieto, son chef opérateur particulièrement inspiré, s’offrent le luxe d’une intro presque muette et férocement  captivante. Juste après, ils nous emmènent dans un interminable plan-séquence virevoltant qui nous plonge (au sens propre) dans la terrible réalité du bidonville.

 

 

Puisqu’on l’évoque ici, vous vous doutez bien qu’Elefante Blanco jouit d’une accroche belge. Cette référence nationale a pour nom Jérémie Renier. Un Jérémie proprement stupéfiant qui, à peine sorti de l’absorbant tournage de Cloclo, a rejoint un projet auquel rien ne le prédisposait. D’ailleurs, il ne parlait même pas espagnol. Convaincu par le scénario qu’on lui adressa… en anglais, Jérémie s’est donc immergé dans la préparation de cette aventure hors normes commençant par un intensif apprentissage de la langue. Après avoir réussi le mimétisme absolu sur le biopic de l’idole des années 70, il offre ici un visage plus dramatique dans un rôle qui lui permet d’exprimer une palette complexe de sentiments contrastés. Totalement investi dans son personnage, il est tout simplement bouleversant, prouvant une nouvelle fois (si nécessaire) qu’il peut absolument tout jouer : de la comédie la plus légère (Philibert), à la tragédie la plus sombre.

 

Dans un drame amer qui mêle avec une surprenante virtuosité approche documentaire et envolées romanesques, au cœur d’un bidonville où la police n’ose s’aventurer qu’en tirant à balles réelles, Jérémie a vécu avec Pablo Tapero, mais aussi avec ses deux impressionnants partenaires argentins, Ricardo Darin (Dans Ses Yeux, El Aura, Neuf reines) et Martina Gusman, fidèle du réalisateur, une folle épopée  dont il sort de toute évidence plus mûr encore, plus captivant que jamais.  Quelle formidable carrière décidément pour cet acteur qui la débuta, c’est vrai, sous les meilleurs auspices.

 

 

Lire ICI une interview de Jérémie Renier.

Voir ICI la bande-annonce

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