« Aimer perdre », la tête et le reste

Trois ans après Fils de plouc, comédie revendiquée affreuse, sale et méchante, Lenny et Harpo Guit sont de retour avec Aimer perdre, présenté en avant-première au FIFF, où ils tentent le grand écart entre la comédie romantique et leur goût de la transgression et du trivial. 

Attention, acrobaties en vue. On savait les frères Guit peu avares quand il s’agit d’exposer nos dégueulassetés et autres médiocrités. Adeptes d’un cinéma qui ne reculent pas devant les fluides (et solides) corporels, on attendant donc de voir comment ils feraient face à l’ultime altérité (avoir pour protagoniste principale une jeune femme) et prendraient le tournant de la comédie romantique. Car en effet, Aimer perdre raconte l’histoire d’Armande, loseuse parfois magnifique, qui vit d’expédients et autres micro-boulots, de menus larcins et petites arnaques, et survit grâce à sa passion du jeu. Armande joue, partout, tout le temps, aux dés, au Monopoly, à pile ou face, à deviner un prénom. Louve solitaire, Armande croise cependant le chemin de Ronnie, qui, et ce n’est évidemment pas pour lui déplaire, a pour sublime qualité d’avoir la baraka. Aussi se pose la question: par amour pour Ronnie, Armande sera-t-elle prête à renoncer au jeu?

On pourrait croire qu’Aimer perdre parle d’addiction, mais ce que le film interroge surtout, c’est comment résister au goût du risque quand on n’a rien ou du moins pas grand chose à perdre. Le film débute sur une question: « C’est quoi cette galère? », et c’est bien cette galère qu’Armande et ses compagnons tentent de défier. C’est sa façon à elle de provoquer un destin pas franchement lumineux, voire sérieusement récalcitrant. C’est aussi un portrait de la précarité des jeunes que dresse le film. Armande n’a pas vraiment de logement, pas de boulot, des amis qu’elle finit par trahir par nécessité. L’image est pleine de grain, les sons de la ville parasitent les discussions, les cheveux trainent dans la bonde de la baignoire, et les toilettes sont crades. Le ton est cru (et trivial, et scatologique, et volontiers grossier), parce que la vie est crue.

On pourrait croire aussi qu’Aimer perdre parle du sentiment amoureux, mais finalement, c’est avant tout elle-même qu’Armande doit apprendre à aimer. Sa trajectoire tout au long du film va lui permettre de mieux comprendre qui elle est, et ce qu’elle tient avant tout à posséder, ou plutôt conserver (spoiler: sa liberté et son insolence face à l’adversité).

Armande aussi est une fille, et ce n’est pas rien. Aimer perdre débute par un gros plan, un très gros plan, qui se transforme en grimace, celle de l’héroïne, incarnée avec panache par Maria Cavalier Bazan. Mine de rien, ce premier plan déjà est disruptif, tant on n’a pas l’habitude de voir de jeunes premières se montrer dans des postures peu flatteuses. Cette grimace – et les scènes qui suivront qui ne craignent ni les fluides corporels ni le sang menstruel –  contribue à faire d’Armande une néo-héroïne de cinéma, et ce n’est pas sa moindre qualité. Les frères Guit la filment comme il filmerait un garçon. Une fille qui pleure, certes, mais aussi une fille qui se goinfre, une fille qui n’hésite pas à se montrer nue, une fille libérée des injonctions à paraître parfaite. Petite mention quand même pour les garçons qui font face à Armande, Axel Perin dans le rôle de Ronnie Maxi Delmelle, compagnon des frères depuis leurs premières aventures, dans celui de Giorgio et l’excellent Michael Zindel découvert dans Le Dernier des Juifs dans le rôle du meilleur ami amoureux d’Armande.

Sous ses dehors de comédie trash et potache, Aimer perdre dresse le portrait d’une jeunesse perdue qui s’en remet au hasard, faute de pouvoir compter sur ce que la société a à lui offrir. Et pose un regard décalé mais politique sur la précarité comme sur la représentation des femmes à l’écran.

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