Depuis quelques semaines, on sent monter en Belgique une excitation fiévreuse autour de Rundskop qui participera dimanche (lundi matin ici) à la grande messe du cinéma mondiale : la remise des Oscars. Pointé comme un oiseau pour le chat il y a trois mois à peine, Rundskop s’est d’abord hissé dans la short list de 9 présélectionnés. Il a ensuite été retenu dans le dernier quintet susceptible de décrocher l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. On se serait déjà contenté de cette reconnaissance, mais il y a mieux : il fait désormais figure de gagnant crédible. Incroyable !
On a peine à imaginer aujourd’hui que le choix du comité de sélection belge avait été initialement contesté. Le parcours réalisé depuis lors par le premier film de Michael R. Roskam a mis tout le monde d’accord: ce choix était judicieux et nous permet vraiment de rêver à une statuette que la Belgique n’a jamais remportée.
Comme aux César qui seront remis demain à Paris, le chouchou des bookmakers est clairement le film iranien Une séparation. Mais la stupéfiante percée opérée dans les médias par Bullhead inquiète le clan iranien. Comparé au plateau proposé aux César, le quintet en course à L.A. semble bizarrement moins relevé. Derrière les favoris belges et iraniens, les autres longs métrages paraissent en retrait. Il faut dire que la campagne menée par les producteurs belges puis par les distributeurs américains de Bullhead tient du génie: participation à des festivals ciblés qui ont couronné le film, sortie anticipée pour tenter d’influencer les votants et, au bout du compte, un accueil de la presse tout simplement dithyrambique. Un exemple (parmi d’autres)? Voyez le L.A. Times qui se fend ICI d’une critique plus qu’enthousiaste.
« Bullhead », peut-on y lire « is an intense, shattering film, a confident and accomplished, punch-in-the-gut debut by Belgian writer-director Michael R. Roskam that starts out like a thriller and turns into a disturbing tragedy in an unlikely and unexpected key. »
En trois lignes tout est dit et tout cinéphile ne devrait plus ensuite avoir qu’une envie: se ruer dans la salle la plus proche qui diffuse le film.
La fièvre monte donc un peu partout et culminera pour nous très tôt ce lundi matin. La 84e cérémonie des Oscars, aura en effet lieu ce dimanche 26 février, à L.A., 19h30 heure locale. C’est dire que nous devrons veiller tard pour découvrir si les 5 800 membres de l’Académie du cinéma, issus de toutes les professions du monde du cinéma hollywoodien ont plutôt orienté leur vote vers un bœuf aux hormones que vers un couple qui se déchire.
Si on parle avec insistance de Rundskop, il ne faudrait pas oublier que deux autres films liés à la Belgique sont aussi en lice pour décrocher une statuette dorée: A Cat in Paris, coproduit par les Gantois de Lunanime et nommé dans la catégorie « meilleur film d’animation » et… The Artist. Le film de Michel Hazanavicius est un des favoris de la soirée, mais savez-vous que la musique du compositeur français Ludovic Bource a été interprétée par le Brussels Philharmonic sous la direction d’Ernst van Tiel. Le Brussels Jazz Orchestra a également participé au projet sous la direction du saxophoniste Frank Vaganée, avec la légende du jazz Jef Neve au piano. Pour couronner le tout, la partition a même été enregistrée dans le célèbre studio 4 du bâtiment Flagey.
Suite logique : Flagey accueille dimanche une Oscar Night avec des animations, un concert et bien sûr une retransmission en direct et sur grand écran de la cérémonie. Trois semaines à peine après les Magritte, Bruxelles se mobilise à nouveau pour faire la fête au cinéma belge avec cette question lancinante: Rundskop sera-t-il le premier film belge à décrocher un Oscar?
Il n’est en tous cas que le 6e à concourir le soir de la remise des prix : ses glorieux prédécesseurs s’appellent Paix sur les champs de Jacques Boigelot (1970), Le maître de musique de Gérard Corbiau (1988); Daens de Stijn Coninx (1992); Farinelli de Gérard Corbiau encore (1994) et Iedereen beroemd de Dominique Deruddere en 2000.
Cette sixième tentative sera-t-elle la bonne? Ce serait un véritable coup de tonnerre dans le ciel belge. Mais à ce stade déjà l’histoire de Rundskop, petit drame très noir arrivé sur la pointe des pieds en janvier 2011 et nominé aux Oscars un an plus tard est déjà formidable. Entre-temps, il a été vu par près d’un demi-million de Belges, a dominé les Vlaamse Filmprijzen, a été un des champions des Magritte, a glané des prix dans les festivals les plus variés à travers le monde, est déjà sorti aux États-Unis et en France avec la bénédiction des critiques, s’apprête à envahir d’autres territoires, a fait de Matthias Schoenaerts une star internationale et de Michael R.Roskam un des metteurs en scène les plus attendus de la décennie….
Une histoire formidable oui, qui pourrait se terminer en apothéose.
Croisons les doigts….