Il court, il court François Damiens. Ou plutôt il roule. Avec son Millet rouge suranné et dans son mobilhome un peu pourri, avec une famille qu’il s’est inventée et un encombrant prisonnier dont il ne sait que faire. Présenté pour la première fois en décembre au Be Film Festival, Torpedo sort sur les écrans belges ce 21 mars. Une hirondelle qui annonce un formidable printemps pour le cinéma belge.
Michel Ressac, un brave type à la marge, apprend qu’il a gagné un dîner avec Eddy Merckx. Il y voit une occasion en or de se rabibocher avec son père, fan du cannibale. Mais le repas n’est qu’un appât pour attirer le chaland chez un fameux magasin de meubles et le pousser à acquérir un canapé. L’acheteur participera ensuite à une loterie au bout de laquelle, il a une toute petite chance de remporter le grand prix. Gros handicap éliminatoire : il faut venir en famille et Michel vit seul. De plus, il n’a pas beaucoup d’argent et, surtout, aucune envie ni besoin d’un salon. Mais il le veut absolument ce lot et il n’est pas prêt à lâcher son os. Il s’embarque alors dans une folle expédition avec un jeune voisin qui incarnera son fils et que tout le monde croit avoir été enlevé, son ex pourtant fatiguée à ses extravagances… et un vendeur terrifié qu’il séquestre dans son véhicule.
Pour filmer cette odyssée improbable, Matthieu Donck, dont Torpedo est le premier long métrage, a choisi un ton qui n’est pas si éloigné de celui employé par son ancien professeur, Benoit Mariage. Entre humanisme et surréalisme. Le film est d’ailleurs produit par K2, la société de Dominique Janne qui épaulait encore le réalisateur namurois sur Cowboy. La façon de filmer les paysages magnifiques et de tirer un parti esthétique du moindre cadre fait, elle, plutôt penser à Bouli Lanners. On a connu références moins alléchantes. D’autant que l’univers de Matthieu est surtout puissamment personnel et se suffit à lui-même. Ces comparaisons ne sont que des pistes pour vous mettre l’eau à la bouche.
Drôle donc, émouvant, mais avec subtilité, souvent incongru le scénario surprend . Comme Mobilhome qui sortira plus tard en 2012, Torpedo est un road movie d’un genre un peu spécial: même s’il n’est pas aussi immobile que le film de François Pirot, il progresse par sauts de carpe et n’hésite pas à revenir en arrière pour remettre les choses à plat et consolider ses bases.
Réputé pour ses deux courts métrages à l’humour totalement surréaliste, Matthieu Donck avance d’autres influences très justes: Juno, Little Miss Sunshine, un second degré caustique à la Fargo… Soit la volonté de recréer un cinéma indépendant décalé. Et si le film respire la belgitude… (ce qui est un compliment chez nous) avec une incursion stratégique en France (stratégique et nécessaire pour la notion de road movie), son canevas rappelle effectivement Little Miss Sunshine: personnages à la marge, mais pétris de bonnes intentions, maladroits et naïfs, provoquant des catastrophes en série.
Une fois l’histoire imaginée et structurée, il fallait l’incarner par un casting à la hauteur : François Damiens qui interprète le rôle principal ne s’est pas contenté de signer et de venir sur le plateau. Il a longuement travaillé avec Matthieu à la réécriture du scénario lui donnant plus de consistance, de pêche, et l’adaptant à sa personnalité. Cette promiscuité créative a eu l’avantage non négligeable de faire naître entre les deux hommes un véritable esprit de corps qui s’est ensuite répercuté sur le tournage. François EST Michel… et Michel EST François, une nouvelle occasion pour l’Embrouilleur n°1 de démontrer que s’il est connu du grand public pour être un comédien désopilant, sa palette est bien plus large et que les bouffées d’émotion qu’il charrie dans le film le nourrissent et l’enrichissent.
Aux côtés du roi de l’embrouille, on retrouve avec plaisir une Audrey Dana tendre et touchante et on découvre un nouveau venu, le pétillant Cédric Constantin, qui campe un gamin attachant, coiffé à la façon d’un footballeur est-allemand des années 80. Avec Audrey Dana et François Damiens, son personnage va être amené à composer une famille forcément provisoire, mais crédible, parenthèse enchantée dans une vie qu’on devine balisée et sans beaucoup d’espoirs. Le moins qu’on puisse écrire est que le team fonctionne formidablement bien.
Un des autres atouts de Matthieu Donck est d’avoir réuni autour de ce trio un cortège alambiqué de rôles secondaires, tous impeccables, qui fleurissent la trame, conférant définitivement au film sa substance de road movie : Gustave Kervern, Philippe Résimont ou Patrick Deschamps sont particulièrement épatants. Sans oublier Christian Charmetant (photo ci-dessus), véritable quatrième larron de la bande, qui marque Torpedo de son empreinte subtile.
Applaudi à tout rompre lors de sa première mondiale au Be Film festival, Torpedo sort en salles ce mercredi. L’occasion de débuter le printemps sur les chapeaux de roue. Le sourire aux lèvres.
PS. L’univers de Matthieu Donck se suffit à lui-même. les comparaisons ne sont là que pour aiguiller votre choix et vous donner envie. Un grand metteur en scène est arrivé !