Difficile de parler d’un film avant de l’avoir vu, avant que le public ne l’ait vu. N’empêche que forcément, on a envie d’en savoir plus sur Tori & Lokita, le nouveau film de Luc & Jean-Pierre Dardenne, leur 10e film montré à Cannes, leur 9e sélection en Compétition. Alors quand on les croise au Palace pour une conférence de presse consacrée à la présence des cinéma belges à Cannes, forcément, on a des questions pour eux…
« C’est un festival belge, il parait que c’est la Reine Mathilde qui préside le jury! », plaisante Luc Dardenne en arrivant. Et effectivement, le Festival de Cannes haussera une fois de plus les couleurs du cinéma belge. Après avoir compté 6 films dans les différentes sections en 2021, on retrouve cette année 3 films belges en Compétition (Tori et Lokita, mais aussi Close de Lukas Dhont et Le otto montagne de Charlotte Vandermeersch et Felix van Groeningen), un film montré séance de minuit (Rebel d’Adil El Abri et Bilall Fallah), un autre à la Semaine de la Critique (Dalva d’Emmanuelle Nicot, voir notre interview avec la jeune cinéaste), sans compter les nombreuses coproductions.
« On est tous les deux un peu différents, se confie Jean-Pierre, effectivement un peu plus sérieux. Personnellement, j’ai l’impression d’être un joueur de foot qui attend le match, même si ce n’est pas une compétition. La première rencontre avec le public et les critiques, ça a l’intensité d’un match. Là, je suis dans le vestiaire, j’attends de monter sur le terrain. Et je reste concentré. »
Les frères sont concentrés, et ont hâte que le monde rencontre leurs deux jeunes héros. « Le film, c’est avant tout l’histoire d’amitié entre deux jeunes venus d’Afrique subsaharienne, explique Luc, un garçon de 12 ans, et une fille de 17 ans. Ce sont des exilés – pas des migrants. Ils ont dû partir, ont souffert en quittant leur pays. Leur nouveau territoire, c’est l’amitié, et c’est là qu’il vivent aujourd’hui. Quand leur amitié est mise en danger, ils font tout pour la préserver. Je crois que c’est une histoire lumineuse, car l’amitié essaie de l’emporter sur des conditions de vie difficile. Et puis forcément, cela fait écho à la situation actuellement, en Belgique, en France, et ailleurs, il faut changer de point de vue sur l’arrivée de ressortissants étrangers, arrêter de penser qu’ils représentent un danger, une menace. »
La force du cinéma, c’est de créer l’empathie, donner à voir et connaître les ressentis, partager les expériences et les destins. « Cette histoire d’exil, c’était évident pour nous qu’elle serait portée par des enfants, continue Jean-Pierre. Même s’il y a autour d’eux des gens bienveillants, leur vulnérabilité renforce la puissance de leur lien. La fiction, ce n’est pas une étude journalistique ou un récit sociologique, c’est une histoire, la puissance de leur amitié fait fiction. C’est terrible pour ces jeunes gens, ces enfants d’arriver ici en Belgique, dans un pays, une ville inconnue, sans rien en poche ou presque. Il faut s’imaginer ça… Il faut imaginer leur peur. L’amitié, c’est ce qui va les sauver, leur permettre de résoudre des problèmes, de faire face à l’adversité. »
Mais pourquoi raconter cette histoire aujourd’hui, quel a été le déclencheur? « C’est difficile de pointer un moment précis, mais c’est une histoire qui nous trotte dans la tête depuis quelques temps. Nous avons visité des centres qui accueillent des exilés il y a quelques années, et on a été très frappé en voyant toutes ces familles avec ces enfants. Et puis des enfants seuls. Il me semble que c’est l’un des récits majeurs de nos sociétés contemporaines, l’exil, continue Luc. Ce sont des histoires de rupture, avec un passé, et des chemins de solitude. On a beaucoup lu, et on s’est beaucoup documenté, on a vu ces souffrances. »
Finalement, c’est assez rare, les histoires d’amitié au cinéma, surtout quand elles unissent une jeune fille et un petit garçon. « C’est vrai, concède Jean-Pierre, d’autant que l’on a décidé que ce serait une vraie histoire d’amitié, pas une histoire d’amitié trahie. Il n’y a pas de jalousie, pas de concurrence. C’est une amitié lumineuse qui les unit. »
Comme toujours dans les films des frères Dardenne, le casting a une importance crucial, il est au coeur du dispositif artistique. Mais comment ont-ils trouvé Tori et Lokita?
« On a fait beaucoup de castings, comme à notre habitude, explique Luc Dardenne, on a vu de très nombreuses jeunes filles, mais pour Lokita, on a eu une révélation, on a quasiment arrêté le casting quand on a rencontré Joely. Et puis il a fallu trouver Tori, et c’est le petit Pablo qui nous a convaincu. Mais on préfère ne pas plus en dire à ce stade… »
Le mystère plane et l’impatience règne. Rendez-vous à Cannes pour découvrir ce nouveau film, qui permet aux frères Dardenne d’être en lice pour leur troisième Palme d’or.