Si on fait le bilan des grands évènements qui ont chamboulé le paysage cinématographique belge en 2011, on retiendra la création de Cinevox bien sûr ;-), mais surtout Les Magritte du cinéma, la déferlante Rien à Déclarer avec son cortège de joyeux acteurs belges, Le Gamin au vélo et les Belges à Cannes, la surprise Hasta La Vista. Et le phénomène Rundskop.
Le premier long métrage de l’hyper prometteur (et par ailleurs fort sympathique) Michael Roskam a glané des tonnes de prix et attiré le public : il nous représentera aussi aux Oscars. Pour le voir en DVD avec des sous-titres français, il faudra patienter jusqu’en juillet 2012. Sa sélection au Be Film Festival le 22 décembre à 20h45 au Bozar est donc une excellente occasion de plonger dans ce thriller anthracite que vous avez peut-être loupé. D’autant que dans notre rubrique concours, nous vous offrons quelques tickets pour la projection.
« Rundskop pourrait bien être déjà le film de l’année. Nous savons bien sûr qu’il est très tôt pour affirmer ce genre de choses et d’autres candidats sérieux vont encore se présenter. Mais si des films de ce calibre nous arrivent d’ici décembre, ne comptez pas sur nous pour pleurer. Dès son premier long métrage, Michael R. Roskam s’inscrit dans la race des grands conteurs. », écrivait le 2 février 2011 Inge Schelstrate dans De Standaard. Immédiatement, elle plaçait d’ailleurs Michael Roskam aux côtés des jeunes metteurs en scène flamands les plus talentueux qui sont apparus ses dernières années.
Une critique visionnaire? Plutôt un élan d’enthousiasme… parmi beaucoup d’autres. Dès sa sortie, Rundskop a épaté la galerie. Lâché en salles en tout début d’année, le thriller dopé aux hormones de croissance a drainé chez nous près de 500.000 spectateurs. Pourtant, objectivement, le film n’était pas assuré d’un tel succès populaire : sombre, austère, tendu comme une corde de pendu, déprimant parfois, il aurait pu être ignoré du grand public. Mais il faut croire que les spectateurs flamands sont particulièrement avisés.
La tête de boeuf, c’est Jacky. Vanmarsenille. Il est issu d’une importante famille d’agriculteurs et d’engraisseurs du sud du Limbourg. À 33 ans, il apparaît comme un être renfermé et imprévisible, violent… Grâce à sa collaboration avec Sam, un vétérinaire corrompu, Jacky s’est forgé une belle place dans le milieu de la mafia des hormones. Alors qu’il est en passe de conclure un marché exclusif avec le plus puissant des trafiquants d’hormones de Flandre occidentale, un élément extérieur remet tout en question : De Kuyper, un agent fédéral est assassiné et c’est le branle-bas de combat parmi les policiers. Les choses se compliquent encore davantage quand Diederick, le meilleur ami d’enfance de Jacky, réapparaît après un silence de 20 ans. Tandis que l’étau se resserre autour de Jacky, tout son passé et ses lourds secrets ressurgissent. Et le film bascule alors dans un drame totalement inattendu.
Gonflé? Oui, terriblement ! Passionnant? Et comment…
Sous ses allures de film social paysan, Rundskop est avant tout un grand thriller noir, un psychodrame de classe mondiale. Début février, le site Limburgnieuws.be résumait avec pas mal d’acuité et d’humour sa portée et son intérêt :
« Rundskop est un drame criminel qui parle d’éleveurs et de gangsters sur fond de trafic d’hormones mafieux en Belgique. C’est un film qui traite de l’amitié, de la loyauté, de la trahison et de la perte de l’innocence. Mais aussi vaches et de mouchards, de taureau et de coups de boule, de la Flandre-Occidentale qui rencontre le Limbourg. Rundskop n’est pas un récit d’investigation critique à propos de faits réels. Qui connaît l’affaire Van Noppen va retrouver ici une série d’éléments identifiables, mais Rundskop n’est en aucun cas une adaptation dramatique de ce fait divers criminel. Comme l’explique Michaël R. Roskam : « Rundskop a autant à voir avec le trafic d’hormone qu’Hamlet avec la monarchie danoise. »
Un article intelligent, car il rassure et donne envie.
Triomphe belge, Rundskop fut récemment sélectionné pour être notre représentant officiel aux Oscars. Un choix discuté, car Le Gamin au Vélo avait également de belles chances d’émerger à L.A. Mais un choix qui se justifie par les performances réalisées cette année par Rundskop : après des passages remarqués à Berlin et Beaune, ce polar bovin a remporté le Grand Prix du Motovun Film Festival en Croatie. Plus tard, il s’est encore distingué au Fantasia Film festival de Montréal, y décrochant The New Flesh Award, qui prime une première œuvre. Il a ensuite empoché le « Prix Spécial Nouveau Genre » au fameux « L’Étrange Festival » à Paris. De retour chez nous, il a raflé six Vlaamse Filmprijzen au festival d’Ostende en septembre: meilleur film, meilleur premier film, meilleur réalisateur (Michael Roskam), meilleur acteur (Matthias Schoenaerts), meilleure photographie (Nicolas Karakatsanis) et meilleur acteur dans un second rôle (Jeroen Perceval).
Rebaptisé BullHead à l’international, Rundskop cartonne aussi aux États-Unis. Au Fantastic Fest, à Austin, Michael Roskam est élu meilleur réalisateur, Matthias meilleur acteur et le film remporte le grand prix. Un triomphe qui pousse les organisateurs à distribuer eux-mêmes le film sur le territoire américain. L’intérêt US est confirmé quelques semaines plus tard à l’AFI Fest organisé à L.A. par l’American Film Institute : le thriller belge emporte le très convoité prix du public dans la catégorie « Nouveaux Auteurs » (très relevée cette année). Mais ce n’est pas tout ! Le jury représentant la critique américaine a couronné Matthias Schoenaerts pour (on cite) : « son incarnation physique et nuancée de la masculinité blessée. »
Dans la foulée, les journalistes de là-bas mettent les pieds dans le plat: dorénavant, oui, Bullhead doit être envisagé comme un vrai candidat à l’Oscar.
Film emblématique d’une Belgique cinéphile réunie sous une même bannière, Rundskop /Tête de Bœuf est également un des rares films coproduits dans les trois régions, cofinancé par les fonds régionaux et la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est en outre une œuvre bilingue, sous-titrée en français, mais aussi en flamand (à cause des dialectes difficilement compréhensibles) qui aligne au générique une série d’acteurs francophones : Erico Samalone, Philippe Grand’Henry et la surprenante Jeanne Dandoy qui tient le rôle féminin principal.
Du pain béni pour les prochains Magritte et pour le Be Film festival.