18 janvier 1998, Hollywood. Un film belge crée la surprise: Ma vie en rose, premier long métrage du jeune réalisateur Alain Berliner, remporte le Golden Globes du Meilleur Film en Langue Etrangère.
Une surprise? Pas tout à fait. En mai 1997, le film est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, où il se fait remarqué, et semble s’inscrire dans une certaine veine du cinéma belge, celle du réalisme magique déjà dévoilée au monde entier par Jaco Van Dormael quelques années plus tôt dans Toto le héros. La presse s’extasie sur les performances de acteurs, notamment celle de Michèle Laroque, à l’époque « simple » comique, qui se révèle à la fois vive et profonde dans le rôle d’une mère de famille aimante mais dépassée, de même que Jean-Philippe Ecoffey, dans le rôle du père, et bien sûr, le jeune Georges Du Fresne, époustouflant dans le rôle de Ludovic.
Mais le film adresse surtout une thématique dont on parle peu à l’époque – il y a 20 ans déjà! -, celle du poids d’une sexualité hyper normée chez les enfants. Une question toujours brûlante aujourd’hui, à l’heure où des sociétés font le choix d’une pédagogie neutre pour lutter contre les stéréotypes comme en Suède. Ma vie en rose pose la question: si la société accepte tant bien que mal en son sein ses « garçons manqués », quelle place réserve-t-elle à ses « filles manquées »? Spoiler: aucune.
Tout commence comme dans un film de Tim Burton, à l’européenne. Une famille modèle emménage dans un lotissement de banlieue et s’apprête à accueillir ses voisins pour l’apéro. Les haies sont bien taillées, les voitures bien garées, les salons bien rangés, et le barbecue est prêt. Alain et Hanna ont hâte de rencontrer leurs congénères, et de leur présenter leur progéniture. Alors quand Ludovic débarque sur la pelouse fraichement tondue dans son plus beau costume, celui de jeune mariée, le mousseux a un peu de mal à passer. Alain et Hanna ne semblent pas plus surpris que ça face aux autres, mais sermonnent le petit garçon dans l’intimité feutrée de la maison: à 7 ans, il est temps que ça cesse. Mais pour Ludovic, devenir une fille, ce n’est pas un jeu: c’est une vocation.
Evidemment, cette vocation ne va pas passer inaperçue dans cet univers hyper-normé. Au détour d’une scène, les enfants sont invités à amener en classe leurs jouets fétiches. Si l’un amène son doudou – ce qui ne manque pas de provoquer les quolibets de ses camarades -, les autres amènent soit une voiture, soit une poupée. Comme si le genre ne pouvait se vivre que dans deux cadres bien délimités, et aux frontières hermétiques. On soulignera au passage le plaisir de retrouver la formidable Anne Coesens dans le rôle de l’institutrice, l’un de ses premiers.
Alain Berliner choisit d’illustrer la vie rêvée de Ludovic en lui offrant un monde fantasmagorique en Technicolor, où il se vit pleinement fille, bercé par la voix de son héroïne de fiction, Pam (un clone de Barbie). Le petit garçon s’y envole dans un monde tout en rose bonbon et bleu dragée, paré de tulles et de dentelles, où les moelleux nuages se substituent à sa dure réalité. Et le spectateur de se demander si finalement, le paradis résidentiel de ses parents ne serait pas lui aussi qu’un grand fantasme? D’autant que le château de cartes finit par s’écrouler, et le paradis se mue en enfer. Ludovic ne porte plus seulement le poids de sa différence, mais aussi celui de la responsabilité d’avoir transformer ses proches en parias…
20 ans après, Ma Vie en rose résonne toujours autant, fort d’un questionnement toujours très actuel, d’un parti-pris esthétique fort, et d’un casting impeccable. A découvrir ou re-découvrir dans le cadre de l’opération 50/50 – retrouvez plus d’infos sur le film sur sa page dédiée.