« Pandore », colères en série

Avec Pandore, Anne Coesens, Savina Dellicour et Vania Leturcq ont réussi une série d’action politique et psychologique haletante, portée par des personnages dont les luttes et les questionnements entrent redoutablement en résonance avec leur époque. Une série d’une grande actualité, qui ose poser en prime time des questions âpres mais essentielles, dans une Bruxelles ultra-contemporaine et plurielle comme jamais. 

Disons-le d’emblée, Pandore est une grande réussite, et il y a fort à parier qu’après avoir vu les deux premiers épisodes, peut-être en live sur La Une dimanche soir, vous zappiez sur Auvio pour enchaîner sur la suite. Et même qu’à la fin, vous en vouliez encore…

Mais à quoi est due cette réussite? A ses autrices bien sûr avant tout, qui ont su mêler avec une grande habileté trois lieux de pouvoir, la justice, la politique et les médias pour y décrypter les enjeux de notre hyper-présent, celui qui se vit à cent à l’heure et omet souvent de regarder devant ou derrière lui, face à la montée des populismes et aux libérations des paroles opprimées, posant une réflexion transversale sur les violences faites aux femmes en ces lieux et en d’autres en particulier, et sur le « vieux monde » en général. Dès le générique, les luttes menées par les personnages de la série, de façon plus ou moins volontaire, sont replacées dans un continuum.

Claire Delval (Anne Coesens)

Pour incarner ces interrogations et ces combats, les autrices ont imaginé une galerie de personnages marquants et intrigants dans leurs forces et leurs faiblesses. La réussite de la série leur doit aussi beaucoup, ainsi qu’à leurs interprètes.

L’héroïne, celle qui mène l’enquête, c’est Claire Delval. Juge d’instruction, elle est sur le point de boucler une affaire de corruption d’envergure, quand elle est stoppée net en découvrant que l’un de ses proches y est mêlé.  Elle se plonge alors corps et âme dans une autre affaire, celle d’un viol collectif, qui va l’entraîner bien plus loin qu’elle ne l’imaginait personnellement et professionnellement.

Son chemin croise celui de Marc Van Dijk, homme politique jusque là discret, qui voit dans la chute de la tête de liste de son parti l’occasion d’être enfin visible, et s’avère prêt à bien des mensonges et des compromissions pour parvenir à ses fins.

Marc Van Dijk (Yoann Blanc)

Dans ces deux rôles, on retrouve deux comédien·nes habitué·es de la petite lucarne de la RTBF. Anne Coesens et Yoann Blanc se sont déjà côtoyés dans La Trêve. Au moment de les retrouver, on s’interroge, encore les mêmes visages? Pourtant dans Pandore, tous deux proposent des partitions d’une grande finesse, qui en quelques secondes font oublier qu’ils étaient déjà les héros de la première « nouvelle » série de la RTBF, et rappellent que les séries et le cinéma belges ont bien de la chance de pouvoir s’appuyer sur leur grand talent.

Leurs destins s’entrecroisent autour de celui d’une jeune femme, Ludivine Gilson (impeccable Salomé Richard), victime d’un viol collectif instruit par Claire Delval, et qui va offrir à Marc Van Dijk un marchepied opportuniste pour un hold-up médiatique qui lui permet d’imposer ses vues et de grimper les échelons du parti. Ludivine devient l’objet d’une obsession pour Claire Delval, prête à tout pour élucider le crime, et Marc Van Dijk, déterminé à protéger son image de sauveur providentiel. Mais Ludivine est aussi sujet, actrice d’une double lutte, pour abolir les violences faites aux femmes et pour retrouver sa soeur, retenue en otage en Arabie Saoudite.

Ludivine Gilson (Salomé Richard)

Autour de ces trois personnages gravitent de nombreux (plus ou moins seconds rôles), toujours soignés et remarquablement interprétés. La jeune comédienne Mélissa Diarra, vue dans la série Prise au piège, incarne Sacha, jeune militante féministe propulsée chroniqueuse sur une chaîne grand public, confrontée à la remise en cause de ses idéaux, au prix de ses loyautés, et au sexisme des rédactions.

Sacha Hamzaoui (Melissa Diarra)

La toujours géniale Myriem Akheddiou joue Krystel, collaboratrice de Marc Van Dijk, conseillère en communication (et en plus encore) tellement occupée à polir l’image de son candidat et à mettre en scène sa vie qu’elle en oublie la sienne. Son personnage nous entraîne en quelques scènes dans de telles hésitations et remises en question qu’on se dit qu’aux Etats-Unis, elle aurait bien son spin-off.

Elle est à mille lieux, forcément, du personnage d’Hélène (Edwige Bailly, parfaite aussi), la femme de l’aspirant ministre, d’abord rangée, puis complice, puis bousculée par les faux pas de son époux.

Krystel Horrens (Myriem Akheddiou)

Pandore multiplie les personnages de femmes qui après avoir constaté les préjugés et les assignations qui les entravent, prennent leur destin en main. Des femmes qui ne se laissent pas définir par leur vie amoureuse, familiale ou sexuelle. Des femmes qui acceptent d’être mue par une colère saine. Claire Delval est en colère. Elle est en colère contre un système judiciaire fatigué, un peu rouillé même, qui a laissé s’installer les petits arrangements, qui se cache parfois derrière le manque de moyens. Cette colère la met en action, trop parfois peut-être au point de forcer la vérité pour la faire surgir. Elle est en colère aussi contre la façon dont la société impose des normes restrictives aux vieilles. Oui, les vieilles, puisque la ménopause déclarée, c’est ainsi que sont définies les femmes. Claire Delval a 50 ans, une vie amoureuse, des cheveux blancs, des désirs, une carrière prenante, des symptômes de ménopause. En cela, c’est une héroïne rare.

Ca tombe bien, car cette héroïne manquait dans le paysage audiovisuel, et qu’il est temps de repenser le lexique et l’image de la colère des femmes. Oublions l’hystérie, la crise de nerfs ou de pleurs, même les cris. La colère de Pandore est une colère froide, mais aussi et surtout une colère motrice et productive, une colère qui fait avancer. Entendons-nous bien, la colère n’amène pas toujours au bon endroit. Mais elle fait évoluer, passer d’un endroit à un autre. Et ici, elle met en action.

A cette colère des femmes résonne en écho celle des hommes. Celle des violeurs, celle de cet homme politique opportuniste entrainé à nourrir celle de son électorat, celle aussi du commissaire Van Bocksel (excellent Nouredinne Farihi), bien décidé à élucider aux côtés de la juge l’affaire Gilson, ou encore du compagnon de Claire Delval, incarné par le toujours délicat Peter Van Den Begin, capable d’exprimer ses sentiments. Car Pandore dessine aussi en creux le portrait d’une masculinité mise à mal par la société patriarcale, interroge sur les façons d’être homme, de se violenter pour répondre aux injonctions, ou au contraire, de s’en libérer.

Commissaire Van Bocksel (Nourredine Farihi)

Pandore interroge les rôles de genre, et offre une plongée passionnante dans les arcanes de la justice, de la politique et des médias. Mais sa réussite, Pandore la doit surement aussi en partie à sa ville. On y voit Bruxelles telle qu’on l’a rarement vue, une ville en travaux, une ville volontiers brouillonne, parfois sale et bruyante, toujours embouteillée, mais une ville en mouvement, en ébullition, riche de ses habitants, de ses langues, de ses ruelles pavées comme de ses majestueux édifices. On tourne autour du Palais de justice, on arpente les Marolles. On croise dans Pandore des habitant·es qui ressemblent à celles et ceux de Bruxelles, et c’est loin d’être une évidence à la télévision.

On retrouve l’énergie de la ville dans la réalisation, incisive et réaliste, et le rythme soutenu avec lequel se développent l’intrigue principale comme les intrigues secondaires. Alors que l’on connaît les tenants et les aboutissants de la situation, on observe avec curiosité et parfois surprise la façon dont les personnages progressent pour trouver leur propre vérité. Et quand arrive la dernière scène, on se dit qu’on les accompagnerait bien encore un peu, et qu’on est prêt pour la saison 2.

 

 

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