Mareike Engelhardt, à propos de « Rabia », avec Lubna Azabal

Ce mercredi est sorti en Belgique Rabia, premier long métrage de Mareike Engelhardt, avec Megan Northam et Lubna Azabal. La réalistarice nous parle de ce film grave et intense qui traite du devenir des jeunes femmes parties en Syrie auprès de Daesh.

Synopsis: Poussée par les promesses d’une nouvelle vie, Jessica, une Française de 19 ans part pour la Syrie rejoindre Daech. Arrivée à Raqqa, elle intègre une maison de futures épouses de combattants et se retrouve vite prisonnière de Madame, la charismatique directrice qui tient les lieux d’une main de fer.

Comment présenteriez-vous le film en quelques mots?

C’est un film qui parle d’un phénomène contemporain, de l’un des conflits actuels les plus importants, en mettant la lumière sur des jeunes femmes qui essaient de trouver leur place dans le monde, et font un mauvais choix. Elles se retrouvent enfermées dans une maison en Syrie, où elles luttent pour leur rêve, et pour leur survie.

Quelle est l’étincelle aux origines du projet?

Par mon histoire allemande, je suis très travaillée par la question des idéologies, des manipulations psychologiques. Comment au cours d’une vie, prend-on le mauvais chemin, devient-on bourreau? Et quand on s’en rend compte, pourquoi continue-t-on, quitte à perdre son humanité? C’est très lié à une question que je me pose: qu’est-ce que moi, j’aurais fait à l’époque? De quel côté j’aurais été, comment je me serais engagée? Je voulais forcer le spectateur à se poser lui aussi cette question.

Quelles sont les circonstances qui rendent possible une déshumanisation?

Ce n’est pas la guerre que vend l’Etat Islamique aux jeunes gens qu’il recrute. La propagande s’adresse à des émotions assez nobles, que l’on pourrait partager,l’envie que notre existence ait un sens, d’appartenir à quelque chose de plus grand que nous. Passer par la guerre, mais pour aller vers la paix. L’utopie ultime, c’est de créer une meilleur monde, où nous serions tous égaux. Il y a des problèmes d’injustice sociale incroyable dans nos sociétés, l’écart qui grandit sans cesse entre des hyper pauvres, et des hyper riches qui ne savent plus quoi faire de leur argent. C’est inquiétant et perturbant de penser que nos sociétés occidentales ne semblent plus offrir ces perspectives aux jeunes gens, qu’il y a une absence d’utopie.

Jessica/ Rabia quitte un endroit où elle a le sentiment d’être asservie pour un autre lieu où elle va l’être aussi. Le système se nourrit de sa faille pour essayer de la transformer.

C’est quelque chose qui ressort chez les personnes qui travaille dans des centres de déradicalisation, et qui mettent le doigt dans le film sur la scène où Madame (Lubna Azabal) lui dit qu’il faut trouver ce qui manque à la personne et essayer de le lui donner. Ces gens qui partent ont un manque, une faille, et un besoin très précis. C’est souvent l’absence d’un parent, ou un trauma lié à des violences sexuelles. Comme tous les leaders de secte, Madame est très forte pour trouver cette faille, et s’y insérer.

Il y a un pouvoir d’identification de la fiction, d’autant que Jessica/ Rabia et Leila partent là-bas avec toute leur naïveté, c’est un départ joyeux.

Je trouvais très important de retranscrire ce qu’ont partagé avec moi les jeunes femmes avec lesquelles j’ai pu parler. J’ai trouvé hallucinant que l’endroit où elles étaient toutes d’accord, c’est que le départ était une fête. Pour beaucoup, c’est leur premier grand voyage, la première fois qu’elles prennent l’avion, c’est une aventure qu’elles vivent à plusieurs. Celles qui ont décidé de partir sont traitées comme des reines sur leurs groupes WhatsApp. Leurs préoccupations sont d’une trivialité folle, la nourriture, les vêtements. Tout ce qui intéressent des jeunes filles de cet âge. J’étais surprise et choquée de voir la contradiction extrême entre ce monde d’une naïveté folle, et la réalité de la guerre à l’extérieur, et de la violence extrême qu’utilise tous les jours l’état islamique.

Ces filles partent faire la guerre, mais se retrouvent dans les coulisses de la guerre. Elles sont à la fois exclues et enfermées. La guerre est hors champ.

Je trouvais intéressant de me servir des images horribles que l’on a tous en tête, et que je n’avais pas du tout envie de reproduire à mon tour. On a tous vu Raqqah, les exactions. Cette violence est omniprésente au son, et dans les images que l’on voit sur les télévisions. Les filles sont abreuvées de propagande par ces ces écrans. L’EI a mis beaucoup d’argent dans la production de ces films, ils permettent aux fidèles de continuer à croire au système. En restant dans la maison, je voulais me concentrer sur la psychologie de mes personnages. A propos de l’EI, j’ai vu beaucoup de films avec des hommes qui crient Allah Akbar en tirant à la Kalashnikov, mais jamais ces maisons de femmes de l’intérieur, et les enjeux qui y sont liés. Les choix auxquels ces femmes sont confrontés, moraux, amicaux, pour leur survie.

Quelques mots sur votre casting?

J’avais vu Lubna Azabal dans Incendies, elle s’est imposée comme une évidence. J’avais peur qu’elle soit trop jolie et trop douce, et quand je l’ai rencontrée, j’ai compris son engagement politique, sa curiosité, et sa fascination pour les personnages très sombres. elle s’est pleinement impliquée dans le rôle, et s’est beaucoup renseignée, notamment sur la « vraie » Veuve noire d’Al-Qaida. Quant à Megan Northam, je l’avais repérée plusieurs années avant de débuter le tournage, repoussé à cause du financement qui s’est avéré difficile. J’ai beaucoup aimé sa palette de jeu très large, la douceur d’une jeune fille, mais aussi la dureté nécessaire pour la deuxième partie du film. C’est très rare de trouver ça chez de jeunes comédiennes.

Rabia est sorti ce mercredi 12 février dans les salles belges.

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