Vous croyez connaître le cinéma belge ? En fait, comme de nombreux francophones, vous ne le connaissez sans doute qu’à moitié…
D’accord, les frères Dardenne, les deux Benoit, Poelvoorde et Mariage, Bouli Lanners, les Olivier, Gourmet et Masset-Depasse, nos stars féminines comme Cécile de France, Marie Gillain, Natacha Régnier, Emilie Dequenne; Jaco Van Dormael et la plupart des artistes qui portent haut les couleurs de notre cinéma à travers le monde n’ont plus beaucoup de secrets pour vous.
Mais quid de Veerle Baetens, Frank Van Passel, Nic Balthazar, Koen De Bouw, Jan Verheyen, Erik Van Looy, Michael Roskam, Koen De Graeve, Filip Peeters, Barbara Sarafian, Hilde Van Mieghem, Matthias Schoenaerts, Felix Van Groeningen, Dominique Deruddere, Kevin Janssens, Johan Heldenbergh, Wim Opbrouck, Jan Decleir, Marie Vinck ? Ce sont pourtant d’énormes stars… De l’autre côté de la frontière linguistique.
Ces acteurs et réalisateurs sont les moteurs d’un cinéma flamand plus vivant que jamais, populaire, drôle ou passionnant. Tous ces artistes, et bien d’autres aussi, sont les vedettes de l’édition néerlandophone de Cinevox.
Mais nous avons néanmoins envie de vous en parler ici. Parce que des chocs comme Loft, De Zaak Alzheimer, Ben X, De Indringer, Zot van A ou Dossier K, pour ne citer que quelques hits récents, sont des longs métrages remarquables qui n’ont rien (mais alors là RIEN) à envier à la plupart des films qui cartonnent dans nos salles; qu’ils soient français, anglais ou américains. Parmi ces titres, il y a des thrillers « hollywoodiens », filmés à l’arrache ou dotés d’un sens du cadre fantastique; des comédies, romantiques ou pas, des films noirs, des drames émouvants… Bref, ils explorent tous les domaines d’un cinéma populaire qui n’a aucune raison de rester cantonné au nord de notre pays.
Évidemment, si vous ignorez l’essentiel de ce cinéma, ce n’est pas vraiment votre faute : ces oeuvres ne sont, en règle générale, pas distribuées chez nous. Ou alors, de façon confidentielle. Et si vous cherchez leurs versions numériques, vous constaterez qu’elles ne sont, la plupart du temps, même pas pourvues de sous-titres français. Ce qui est déroutant, car pour voir Ben X, De Zaak Alzheimer ou Iedereen Beroemd en Vostf, il suffit d’acheter ces DVD… en France. Incroyable, mais hélas vrai. Seules ces éditions proposent aux cinéphiles une option qu’on pensait basique. Hélas, tous les films flamands ne sortent pas en France.
Heureusement, la plupart des complexes de la Capitale, notamment le Kinepolis, cheval de Troie du 7e art flamand vers les francophones, offrent aux curieux de découvrir ces œuvres dans des versions sous-titrées. Ce qui est plus un acte de générosité qu’une obligation. Car, malgré ce confinement à un territoire restreint, habité par environ 6 millions de personnes, les productions flamandes fonctionnent très bien dans leurs salles. Savez-vous que l’an dernier, les films belges flamands ont permis pour la première fois de vendre plus de… 2 millions de tickets? Énorme! Et encore, dans la liste des gros succès enregistrés pendant douze mois on ne trouve aucun blockbuster du calibre de Loft qui, en 2008, a été vu en Flandre par… plus d’1.3 million de spectateurs. Incroyable? Hallucinant vous voulez dire.
Philippe Reynaert, directeur de Wallimage et grand connaisseur du cinéma belge dans sa globalité, explique assez bien ce phénomène qui peut nous paraître relever des X-Files chers à Fox Mulder: » Si un Flamand veut voir un film qui parle flamand… il va devoir attendre qu’un cinéaste flamand le tourne. C’est une chose qu’on sait peu de ce côté-ci de la frontière linguistique, mais un Flamand ne va pas forcément voir les films hollandais. Il existe donc un matelas permanent d’environ 100.000 spectateurs qui soutiennent systématiquement les productions régionales. Quelles qu’elles soient. Cela peut être un film d’horreur ou un film romantique, une comédie, un film policier… Peu importe. On appelle ça un public captif. Ce phénomène se retrouve aussi au niveau de séries télévisées qui sont produites à la chaîne en Flandre. À l’opposé, les Belges francophones doivent imposer un marché intérieur pour leur propre cinéma, car les gens, ici, confondent films belges et films français. Il y a quelques années, on demandait aux spectateurs quel était leur film belge préféré. La réponse qui est revenue le plus souvent est : Podium. Mais Podium est un film français. L’identification se fait sur Benoit Poelvoorde, l’acteur qui lui, naturellement, est belge. »
L’explication est intéressante et on peut la compléter par la déclaration d’un producteur gantois qui nous expliquait récemment: « avec les Hollandais, nous avons la langue en commun. Rien d’autre. Avec les Wallons, nous avons tout en commun. Sauf la langue. »
Ce qui induit une autre caractéristique du cinéma flamand: linguistiquement isolé, l’artiste flamand ne se sent pas, comme la plupart des réalisateurs wallons, obligé de revendiquer des accroches régionalistes pour se distinguer d’une industrie existante. Les producteurs du nord du pays imaginent donc de vraies créations à l’américaine qui pourraient être dialoguées en anglais et qu’on croirait alors sorties de l’usine à rêves hollywoodienne. Ce n’est pas forcément leur tonalité qui est unique, mais la langue dans laquelle le film est interprété, gage de succès intérieur.
Cette analyse explique peut-être aussi une certaine timidité des distributeurs flamands lorsqu’il s’agit d’exporter leurs productions, timidité qui se focalise sur une interrogation: pourquoi proposer à un public francophone des œuvres de facture internationale certes, mais en flamand, alors qu’elles entrent en concurrence directe avec des films anglo-saxons? La réponse tient en une phrase: parce qu’on a envie de les voir !
Se posera alors éventuellement la question du doublage, fort courant au Sud, quasi indispensable pour une distribution wallonne, mais pas du tout dans les gènes de nos voisins. Mais ceci est une autre histoire. En attendant, des versions sous-titrées distribuées de manière un peu plus régulière chez nous feraient déjà notre bonheur…
Les photos de haut en bas : Loft, Dossier K, Ben X, de Zaak Alzheimer