François Pirot: artiste complet

François Pirot est un homme attachant. Intelligent, réfléchi, on le sent exigeant. Et forcément plus complexe qu’il n’y paraît puisqu’on nous dit qu’il est aussi un sacré déconneur. Une face qu’il ne révèle pas vraiment sur un plateau pendant les heures de tournage ou en interview où il manie plus volontiers l’ironie, voire une auto-dérision empreinte d’une grande modestie que les vannes d’auteurs, façon sniper de talk-show. Mais le trentenaire calme et posé que nous avons croisé avec plaisir à plusieurs reprises, toujours souriant et bienveillant, presque timide, est à l’image de Mobile Home, son premier long métrage : léger et discret, intense et captivant.

 

–          L’existence de mes personnages n’est pas exceptionnelle en soit et c’est justement cela qui m’a intéressé. Cette histoire pouvait paraître anecdotique sur le papier. Peut-être même sur pellicule (il sourit), mais ce sont ces petites choses que j’avais envie de raconter en y mettant de l’émotion en leur donnant du sens, mais sans jouer sur les effets scénaristiques et autres pour booster l’affaire. Dès l’écriture je me suis beaucoup posé la question de la manière dont l’histoire serait reçue et j’admets que ça m’a fait peur jusqu’au bout : est-ce que ce récit allait tenir? L’idée était quand même de le faire tourner en rond (il sourit à nouveau,  plus franchement). On lance des personnages avec des envies et des objectifs, puis on leur oppose des obstacles et on les force à faire du sur place. C’est un peu étrange comme comportement, non? On entre alors dans une chronique quotidienne faite de petites choses, presque anodines. Le danger quand on évolue ainsi sur le fil est de décevoir les spectateurs, de les frustrer plutôt. Alors qu’évidemment, j’espère juste le contraire: que chacun comprenne l’importance du moment et des questions posées.

 

 

Oui, François est un personnage prudent, intelligent et donc toujours en questionnement. Un questionnement qui l’a accompagné pendant toute l’écriture du scénario, un exercice sur lequel il a déjà excellé, notamment aux côtés de Joachim Lafosse avec qui il a écrit des merveilles comme Nue Propriété et (surtout?) l’incroyable Élève Libre, certainement le film belge le plus insidieusement sulfureux de ces dix dernières années. Mais François est aussi un vrai réalisateur, avec une vision et des ambitions. La formidable note d’intention qui précisait le script original de Mobile Home était à elle seule une brillante leçon de cinéma qui mettait en exergue tout ce qui fait le charme du film tel que les spectateurs peuvent aujourd’hui le découvrir.

 

–          J’ai toujours voulu me consacrer à la réalisation. J’ai étudié la réalisation, puis j’ai tourné un docu, deux courts et je n’ai jamais abandonné l’idée de mettre en scène un long métrage. Je sais que les gens peuvent me considérer a priori comme un scénariste, mais c’est paradoxalement dans cet exercice que j’ai le plus de lacunes. Je n’aurais jamais pu écrire ce projet seul, par exemple. Impossible. J’ai besoin d’un autre regard, de confronter mes avis, d’entendre d’autres idées. Écrire un scénario est vraiment l’étape la plus complexe de l’élaboration d’un film. La plus laborieuse. Je réécrirai peut-être avec d’autres artistes, pour d’autres réalisateurs, mais quand je vois à quel point je suis accaparé quand je travaille sur les projets des autres, je me dis aussi qu’à certains moments dans la vie, il faut poser un choix et choisir une voie.

 

 

Ce que j’aime dans ce métier c’est le contraste. Je ne suis pas du tout un monomaniaque ou un obsessionnel. Quand je reste dans le même type de travail pendant trop longtemps, je peux bien vite me lasser, me sentir enfermé. Finalement, mon expérience sur Mobile Home c’est un parcours contrasté qui m’a permis de passer par tous les stades : l’écriture nous confine dans un état de solitude. Tout à coup, arrive toute l’équipe. Il y a l’hystérie du tournage. J’ai aussi suivi toutes les étapes de la postproduction et c’est totalement autre chose. C’est précisément cette alternance que je trouve exaltante.  Mais si je n’avais qu’une étape à retenir, ce serait quand même le tournage, le moment où tout se cristallise.  Ça ramène tout le travail à sa vraie dimension. On peut passer des années sur un scénario, des semaines sur une scène particulière puis, une fois sur le terrain, on a une heure pour la tourner.  Il y a quelque chose de dingue dans ce contraste, mais l’urgence est excitante. Je sais que ce n’est pas un sentiment partagé par tout le monde, mais en tout cas, cette espèce de folie douce me plaît beaucoup.

 

 

De cette urgence peuvent naître des regrets…

 

–          On peut bien sûr se plaindre après coup. Mais si je ne parviens pas à rendre une scène de la manière dont je l’avais imaginée, j’ai toujours tendance à penser que c’est de ma faute. Lorsque j’ai écrit le scénario, je connaissais à peu près les moyens dont je disposerais, le temps que je pourrais y consacrer. Question de réalisme. Si je ne garde pas cela continuellement à l’esprit, c’est moi qui commets une erreur.  Le cinéma est un jeu dans lequel il faut respecter certaines règles. Ca fait aussi partie du contrat.

 

 

Évidemment, j’avais quelques excuses. Mobile Home reste un premier film et ce qu’on apprend vraiment lors d’une expérience comme celle-ci, c’est l’importance des choix de productions qui seront déterminants durant tout le tournage. La prochaine fois, j’aurai plus de données en ma possession pour planifier les moyens à consacrer à telle ou telle scène et la transcender au mieux de son potentiel.  Je pourrai plus facilement prévoir les moments où il faut réserver plus de temps et d’argent et les autres aspects de l’histoire où on peut se permettre quelques sacrifices. Comme je n’avais pas été préalablement confronté à un travail de cette envergure sur le terrain, j’ai pu faire ici quelques erreurs d’appréciation. Je pense qu’il y en aura moins à l’avenir.

 

À l’écran, on ne repère pas ces éventuelles erreurs. Mobile Home est un modèle d’équilibre, une œuvre tout en délicatesse et en subtilité. Un film de fin d’été, le film d’une génération surtout; non pas perdue, mais « en quête ». En quête d’idéaux et d’avenir. En quête d’identité.
Sur le papier, Mobile Home a beau être « un petit film », c’est, vous l’aurez compris, un film essentiel.

 

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