Fils Unique
L’homme qui parlait aux mouches

« Alors Miel, c’est du vécu cette histoire? »…  Une question trop évidente qu’on évitera de poser au réalisateur, car inspiré ou pas d’expériences vécues, Fils Unique est un film fort qui se suffit à lui-même.

Un drame intime qu’on vit sur le visage d’un Laurent Capelluto d’exception. L’acteur belge qu’on a récemment croisé en entraîneur sportif dans Simon Werner a disparu ET La Permission de minuit, en amant dans Elle ne pleure pas selle chante et qui fut nominé pour le César du meilleur espoir masculin en 2009 (Un conte de Noël) hérite ici du grand rôle dramatique qu’il méritait depuis longtemps.

 

[® Ricardo Vaz]

 

Vincent court vers ses 40 ans. Il est divorcé, élève sa fille du mieux possible et gagne sa vie en faisant le taximan à défaut d’être photographe, le métier dont il rêve.

Dans la famille, on rêve beaucoup et on se résigne vite. Aujourd’hui, sa mère fête son anniversaire. Elle va sortir de l’hôpital. Mais quand Vincent pénètre dans sa chambre, elle lui annonce en jubilant qu’on vient tout juste de lui trouver «son» cancer. Elle qui s’est crue malade toute sa vie pour échapper à son infernale condition de femme bafouée va enfin être prise au sérieux. Mais alors qu’elle voit son fils désemparé, elle lui fait promettre d’héberger son père, juste quelques semaines, le temps qu’elle se fasse opérer et qu’elle se remette. C’est un choc pour Vincent, une promesse difficile à tenir: il n’a plus parlé au paternel depuis 10 ans. Se retrouver face à « l’ogre » qui a détruit sa confiance en lui et sa joie de vivre, c’est un retour dans la nuit de son enfance. Mais le gentil Vincent ne peut rien refuser à sa mère : il va devoir faire face à ses démons.

 

Drame ordinaire de l’horreur domestique larvée, Fils Unique est un douloureux voyage au cœur d’une famille dysfonctionnelle qui se lit à travers les yeux de Vincent à diverses époques de sa vie. Son père, chef d’orchestre raté, professeur frustré, fait payer à son entourage son incapacité à assouvir ses fantasmes. À sa femme qu’il trompe dans vergogne, à son fils qu’il humilie quand il ne l’ignore pas.

 

 » Il ne se rend pas compte, c’est un égoïste » dit sa mère à Vincent. Certes, mais pas seulement. C’est un homme cynique et cruel. Pathétique aussi. Un personnage écœurant qui sied à merveille à un Patrick Chesnais particulièrement impressionnant en père tyrannique qui ne cherche jamais à s’interroger sur la portée de ses actes, encore moins à s’excuser. Qui, au contraire, provoque l’autre, s’échine à le choquer, comme un enfant qui cherche ses limites et ne les a jamais trouvées. Un homme qui a transformé ses frustrations en perpétuelle provocation. Qui ruine la vie de ses proches sans le moindre remords.

 

 

Mention spéciale également à Itsik Elbaz, qui incarne ce monstre, plus jeune, dans un registre moins caustique, plus manipulateur. Mais tout aussi effrayant. Le passage d’une époque à l’autre souligne l’évolution du personnage : c’est une des très belles réussites du film

 

 

Car, à  l’inverse de quelques réalisateurs célèbres, Clint Eastwood (Edgard) ou David Fincher (Benjamin Button), Miel évite le piège du maquillage grotesque et opte pour des acteurs différents aux différentes étapes de la vie: le procédé fonctionne fort bien et on s’habitue vite au vieillissement crédible d’un personnage à l’autre. Par ce petit jeu de miroir, Miel met en perspective l’évolution de Vincent, gosse rieur qui cache un malaise que devenu adulte il porte sur son visage. Vincent enfant, Amir Ben Abdelmoumen est tout simplement épatant, lumineux dehors, cassé dedans. Quant à la si jolie maman de Vincent, elle est d’abord interprétée par Fanny Valette, puis par Anne Gallena, avec sensualité et résignation. On se demande quand même, comment avec le traitement qu’elle subit, cette femme a pu rester aussi lumineuse.

 

 

La grande question qu’évoque Fils Unique,  se pose à travers Vincent : comment mener une vraie vie d’adulte, comment s’abandonner et donner, comment être à la hauteur, quand on a vécu au plus près le simulacre perpétuel d’un ersatz couple et d’une famille castratrice? Quand on en est venu à se persuader qu’on parle aux mouches et qu’elles vous obéissent… À moins que ce soit vrai…

 

Tout ça n’a pas l’air très gai. Ça ne l’est pas vraiment. Mais Fils unique n’est pas un pensum lourd et ennuyeux, encore moins un « film social », puisqu’il convient aujourd’hui d’arracher d’emblée cette étiquette pour ne pas effrayer le cinéphile angoissé à l’idée de plonger dans ce qu’il imagine être un film banal ou sombre. C’est au contraire une œuvre maline qui joue sur les contrastes, les rebondissements inattendus, le choc des époques et les incongruités amusantes, souvent provoquées par les mensonges de Vincent, incapable de s’assumer. Forcément. Miel Van Hoogenbemt excelle dans ce petit jeu des collisions entre l’apparente légèreté d’une situation et un contrepoint glaçant. Le meilleur exemple est sans doute cet extrait qu’on peut voir sur notre site : le regarder vous en dira plus qu’une longue explication.

 

Initialement proposé presque en même temps qu’Elle ne pleure pas elle chante, Fils unique présente avec le film de Philippe de Pierpont quelques amusants points communs: la haine du père, évidemment, véritable leitmotiv des deux drames, l’opéra et quelques comédiens, employés ici dans d’autres postures : celui qui reconnaît Erika Sainte du premier coup d’œil gagne une barre chocolatée.

 

 

Troisième long métrage de Miel Van Hoogenbemt après Miss Montigny (déjà avec Sophie Quinton qu’on retrouve ici en amoureuse malmenée) et Man Zoekt vrouw tourné en flamand avec Jan Decleir, Fils Unique est touchant et juste, introverti et tendu. Fort émouvant, il risque de provoquer chez certains de bien profondes résonnances !

 

 

 

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