Rencontre avec le réalisateur Christophe Rolin, qui présentait hier au Brussels International Film Festival son premier long métrage de fiction, Le Voyage de Talia (on vous en parle ici).
Comment est né Le Voyage de Talia?
Tout a commencé un peu par hasard. Nous étions partis avec un ami avec l’idée de filmer un documentaire au Sénégal, pays que l’on avait choisi au hasard. Arrivés là-bas, on a ouvert la porte d’une école à la périphérie de Dakar, et on a fait la connaissance de cinéastes sénégalais, avec lesquels nous avons co-réalisé un court métrage de fiction, Dem Dem.
C’était l’histoire d’un pêcheur qui trouve un passeport belge et rêve de partir en Europe. Le court métrage a bien fonctionné, il a été sélectionné à Clermont-Ferrand, a reçu le Tanit d’argent à Carthage. Sur une impulsion, on s’est demandé pourquoi ne pas raconter l’histoire inverse, d’une jeune afro-belge qui rêve d’Afrique. C’était assez théorique au début, et finalement, c’est au moment des castings que j’ai pris conscience de la dimension du sujet, et que j’ai compris que ce serait un défi d’arriver à raconter cette histoire, à la fois parce que je suis un homme, et parce que je suis blanc. Vu de Belgique et d’Europe, on a beaucoup de projections, d’idées reçues sur ce que peut être un pays d’Afrique, ce que peut être l’africanité. Il fallait déconstruire beaucoup, et bien s’entourer.
J’ai profité des castings pour interviewer les candidates au rôle de Talia, essayant de comprendre où elles se situaient, en posant des questions simples: est-ce qu’on te demande souvent d’où tu viens? Est-ce que tu penses souvent à ta couleur de peau? Comment est-ce que tu imagines un pays d’Afrique?
Là j’ai mesuré qu’il y avait une multitude d’histoires singulières. Et qu’on était tous logés à la même enseigne quant à notre perception du continent africain tant qu’on n’y a jamais été. On est tributaire des histoires que l’on nous raconte, et surtout de la façon dont les médias nous les présentent, des médias qui traitent souvent le continent sous un angle catastrophique.
Et puis j’ai aussi vu par moi-même, je me suis baladé dans les rues de Dakar, j’ai discuté avec les gens, j’ai nourri mon imaginaire de ma propre expérience. Pour aller au-delà de ce que j’avais lu ou entendu.
Comment s’est passée l’écriture du film, quelle part prend l’improvisation?
L’écriture s’est faite en plusieurs étapes, comme le tournage. Il y a eu trois phases de tournage. J’ai écrit au fur et à mesure, pour chaque partie à filmer en fonction des tournages. Mon scénario est très court, mes séquences sont très courtes aussi. Il y avait donc pas mal de latitude au moment du tournage, et du montage. J’ai travaillé avec Marc Recchia, qui a vraiment contribué à réécrire le film avec moi au montage.
C’est dans la confrontation avec les autres que Talia va trouver son identité?
J’ai travaillé sur l’idée que Talia a un besoin d’appartenir, elle cherche une forme d’acceptation, sans même s’en rendre compte je crois. Beaucoup de séquences tournent autour de l’idée d’être acceptée comme une « vraie » africaine. Ce sont des idées reçues, des projections, mais on se dit qu’une africaine forcément danse bien, qu’elle aime la nourriture épicée. Ces idées reçues que je peux avoir, ce sont des injonctions pour le personnage de Talia, qu’elle porte sur le dos. Elle se débat avec tout ça pendant tout le récit ou presque. Il y a une scène où Malika la provoque un peu. Si tu es un vraie africaine, mange ce piment. Et elle, elle prend ça très au sérieux.
Il y avait une envie de montrer Dakar et le Sénégal autrement, de montrer aussi un quotidien qui ressemble au nôtre?
Je me sentais clairement une responsabilité. Beaucoup des cinéastes, des ethnologues qui nous ont précédé ont construit une propagande coloniale, parfois à leur corps défendant.
Arrivant après ça, on se demande comment on va filmer une ville d’Afrique. Sans effacer, oblitérer la pauvreté, mais en montrer aussi la richesse et la diversité. Pas dans un esprit de réparation, mais y aller de manière légère, et montrer ce qu’on voit.
Le récit est porté par deux autres personnages que Talia, la cousine Binta et la voisine Malika.
Binta la cousine de Talia vit dans un autre monde, hyper friqué. Il y a une classe supérieure totalement décomplexée à Dakar. Binta est assez drôle finalement, même si elle vit dans une grande solitude. Malika, c’est un personnage un peu ambigu, qui correspond aux projections que se fait Talia. Malika lui renvoie son imaginaire, en l’y confrontant. C’est une amitié souvent douce et belle, mais parfois compliquée. Malika, c’est une sorte de djinn. Un esprit un peu ambivalent, qu’il faut pouvoir apprivoiser.
Comment avez-vous pensé le casting?
J’ai casté les trois comédiennes dans le sens des personnages, elles n’avaient jamais joué, sauf Aminata qui avait joué dans un court. Je voulais des actrices dont le vécu pouvait se rapprocher de celui de mes personnages, et qui du coup pouvaient m’inspirer.
Pour Aminata, je suis allée chez elle, j’ai rencontré sa famille. J’ai pu me développer autour de sa vraie vie.
Comment rêviez-vous le film, cinématographiquement?
Je voulais un film doux, un film lumineux, pas dans l’exploitation du black trauma. Talia n’est pas torturée, elle est en questionnement. Je viens du documentaire, et cela se ressent surement dans la méthode, mais visuellement, je voulais quelque chose de très pictural, très composé, j’ai fait un gros travail avec le directeur photo pour amener de la poésie, de l’air, notamment avec de nombreux plans larges.
Le film est auto-produit, pouvez-vous nous parler de ce processus?
Ce film est largement auto produit. J’ai senti que j’étais dans une urgence de raconter cette histoire, alors j’y suis allé, j’ai contracté un prêt, j’ai trouvé quelques partenaires. On a envie et besoin d’être financé pour payer correctement les gens. Mais j’avais les idées, et j’avais trouvé l’actrice il fallait y aller. On me demandait d’être 100% prête, mais je fonctionne pas comme, c’est toujours un saut dans l’inconnu pour moi, le besoin aussi de sortir de ma zone de confort. Pour moi, le temps de la création et le temps de l’institution n’étaient pas le même.