Certains pensaient que le film était sur nos écrans depuis de longs mois, car on en a beaucoup parlé. Mais c’est bien ce 25 janvier qu’il arrive enfin dans les salles belges. Depuis juin dernier, Au Cul du Loup occupe pourtant le terrain avec une belle constance. Ne pas avoir de distributeur à l’origine s’est finalement révélé un atout: tous se sont mobilisés autour d’un projet auquel ils croyaient, participant sans compter à chaque manifestation possible pour être récemment récompensés à Amiens lors d’un festival qui a doublement couronné le film.
Lorsque la grand-mère de Christina décède, tout le monde se retrouve chez le notaire. Papa et maman héritent de la demeure familiale, le frérot d’un compte en banque assez bien garni qui lui permettra d’aller en BM à l’école et Christina… d’une maison en Corse dont personne n’a jamais entendu parler. Une maison? Une ruine plutôt, mais surtout une promesse de liberté. Ses parents lui conseillent de vendre. Elle, elle veut voir sur place de quoi il retourne. Et si son compagnon ne la suit pas, qu’importe! Elle prend le train en pleine nuit, traverse la France et la Méditerranée, et tente de rallier par tous les moyens le petit village isolé où personne ne se rend jamais. Avec une conviction : si Nonna lui a transmis ce cadeau, ce n’est pas anodin, car les deux femmes étaient très proches.
Débutant dans la région de Charleroi, Au Cul du Loup est l’occasion de se plonger dans une ambiance bien croquée : la pizzeria du coin tenue par un William Dunker tel qu’en lui-même, le carnaval, l’attente à l’onem et l’espoir d’un boulot… sans espoir. C’est plombant, mais réaliste (et très court d’ailleurs). Du coup, on s’en doute, la verdure corse, le rythme de vie débarrassé de toute pression et l’air pur agissent comme un contrepoint revigorant. Pas étonnant que Christina n’ait pas forcément envie de rentrer au bercail. Mais la jeune femme est enracinée à ses habitudes, à ses valeurs, à sa famille et on ne s’arrache pas aisément à son existence. Dans un premier temps.
Un des charmes d’Au Cul du Loup (qui n’en manque pas), c’est Christelle Cornil qui, grâce à Pierre Duculot, obtient le premier vrai grand rôle qu’elle n’attendait peut-être pas aussi tôt. Abonnée aux seconds rôles qu’elle campe toujours avec une rare conviction, Christelle a sans surprise remporté l’an dernier un Magritte pour sa prestation fort subtile dans Illégal. Aux côtés d’une Anne Coesens sublime, elle parvenait à faire exister un personnage de gardienne tiraillée entre la décence et l’obligation de conserver un boulot qui lui permettait de se nourrir. Elle y impulsait le doute, l’humanité et une fragilité épatante. Ici, le défi est différent: Christelle est de tous les plans, c’est l’âme du film et son moteur. Si elle n’est pas parfaite, l’histoire s’effondre, c’est aussi simple que cela. La bonne nouvelle étant qu’elle est précisément d’une incroyable justesse, touchante, bouleversante parfois, mais sans en faire des tonnes. Tout en subtilité.
C’est d’ailleurs une autre des caractéristiques fondamentales du film: une qualité d’interprétation chorale formidable. Et un casting fort judicieux, donc dans lequel on retrouve avec plaisir une Marryke Pinnoy qui semble prendre goût au cinéma francophone (elle était déjà exceptionnelle dans Elle ne Pleure pas elle chante). A ses côtés, un étonnant Roberto D’Orazio : outrecuidant au début puis de plus en plus émouvant à mesure que l’histoire progresse. Jean-Jacques Rausin est aussi très touchant en mari tiraillé entre sa femme et un réalisme social qu’on nous impose à tous et Pierre Nisse en frère désabusé pas encore sorti de l’adolescence est juste parfait. Une fois qu’on quitte le Hainaut, on découvre que le casting corse est également formidable emmené par le sang mêlé (belgo-corse) François Vincentelli, odieux dans L’Exercice de l’État et ici d’un charme magnétique.
Dès son premier long métrage, Pierre Duculot fait mouche. Ce professeur et journaliste qui fonda le festival du film social de Charleroi (ce qui montre à la fois ses préoccupations profondes et son attachement à sa région) a réalisé au milieu des années 2000 un premier court métrage avec Christelle Cornil déjà : Dormir au Chaud. Suivi par Dernier Voyage. Pour aboutir à cet excellent long qui devrait en annoncer d’autres: il n’y a aucune raison d’abandonner en si bon chemin !
Voir aussi:
La première bruxelloise du film à Flagey
Le triomphe au festival d’Amiens
Coups de zoom sur 2012 : cinq premiers films
L’interview de Christelle Cornil
Pierre et Christelle : une belle histoire d’amitié